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CRITIQUE - Le Messie aux Violons du Roy : Quand le Verbe se fait musique

CRITIQUE - Le Messie aux Violons du Roy : Quand le Verbe se fait musique

Joélle Harvey, Jonathan Cohen et Allyson McHardy, Le Messie de Haendel, Les Violons du Roy et la Chapelle de Québec, 2021
Photographie : David Mendoza Hélaine

Un long passé unit les Violons du Roy au Messie de Haendel qu’ils ont chanté ce 8 décembre pour la 69e fois de leur histoire avec le soutien du chœur de chambre de la Chapelle de Québec. L’aventure, qui avait commencé en 1987 avec Bernard Labadie, chef fondateur des deux ensembles, se poursuit maintenant avec son successeur, Jonathan Cohen, le chef aux chaussettes rouges. 

Pour cette 17e production du Messie, la Chapelle de Québec et ses trente choristes prudemment distancés, l’orchestre à cordes et ses claviers, le trio d’anches (deux hautbois et basson), deux trompettes et timbales ont enfin retrouvé un Palais Montcalm bien rempli, avec couvre-visages obligatoires pour le public durant tout le concert, même si quelques nez pointaient parfois indiscrètement pour faire concurrence à celui de Cyrano ! 

Dès l’ouverture, le maestro a donné un aperçu de ce que serait son Messie : beaucoup de classe et d’enthousiasme, des tempi alertes, mais jamais stressants, des contrastes suivant à la lettre le livret de Charles Jennens, et une complicité évidente avec les instrumentistes, les choristes et les solistes. Une des choses qui me frappe chez Cohen, qui dirige tantôt de son clavecin, tantôt debout, c’est sa palette de gestes peu conventionnels, mais d’une redoutable efficacité, pour cerner le moindre contour vocal ou instrumental : ici, une main donne en souplesse une entrée ; là, les bras font des moulinets, ou encore un simple mouvement de doigt pointant une syllabe. Et la magie opère : on entend exactement ce qui doit être et comme cela doit être.

Quatre excellents solistes, dont trois habitués des Violons du Roy, se partageaient les récitatifs et les airs. Assis aux deux extrémités de la scène – pandémie oblige ? –, ils se déplaçaient pour venir chanter, et j’avoue que j’ai parfois trouvé ce va-et-vient un peu distrayant. Le ténor britannique Andrew Staples, à qui revenait d’introduire vocalement l’oratorio avec le récitatif accompagné « Comfort ye, my People » possède une voix légère, souple, expressive, avec des aigus raffinés. Il s’est particulièrement distingué dans les deux dernières parties de l’oratorio, qui puisent plusieurs passages dans des psaumes pleins de souffrance, ce qu’il a su rendre avec intensité et conviction.

Son compatriote, le baryton-basse Neal Davies, en a imposé par sa puissance vocale, son autorité et sa déclamation toujours au service des descriptions imagées et souvent théâtrales du texte : il y avait de quoi trembler lors de sa première intervention prophétique (« Thus Saith the Lord »), et découvrir peu à peu la lumière annoncée par Isaïe (« The People that Walked in Darkness »). Et que dire de cette vision spectaculaire du Jugement dernier que représentent le récitatif « Behold, I Tell you a Mystery » et son air « The Trumpet Shall Sound », superbement dialogué avec le trompettiste Adam Zinatelli.

Bien que parfois un peu effacée, la mezzo-soprano ontarienne Allyson McHardy a su nous séduire par sa musicalité et le velouté de sa voix, comme elle l’a démontré dans le bouleversant « He Was Despised », chanté avec une grande humilité. On a pu également apprécier son duo de la première partie avec la soprano « He Shall Feed his Flock » et son dialogue avec le chœur dans « O thou that Tellest Good Tidings to Zion ».

Mon coup de cœur de ce concert est la soprano américaine Joélle Harvey, qui m’a séduite par son aisance vocale et la délicatesse de ses ornementations, par sa finesse dans les récitatifs de la première partie, et par sa luminosité dans le jubilant « Rejoice Greatly » ainsi que dans l’air plein de confiance « I Know that my Redeemer Liveth ». Chacune de ses interventions était un pur régal !

Très en forme et toujours aussi solide, la Chapelle de Québec a mis en valeur les nombreux mouvements pour chœur de la partition : j’ai aimé sa légèreté dans les vocalises de « For unto us a Child is Born », le jeu de contrastes entre le joug et le fardeau dans le bref chœur « His Yoke is Easy »la gravité avec laquelle s’ouvre la deuxième partie de l’oratorio (« Behold the Lamb of God ») et bien entendu les deux sommets que sont l’« Hallelujah » et le grandiose « Amen » conclusif, que Jonathan Cohen a démarré avec délicatesse avant de laisser se déployer son magnifique enchevêtrement contrapuntique.

Côté instrumental, nous avons eu droit à des moments privilégiés, tels cette délicieuse « Pifa » confiée au trio d’anches pour restituer cette couleur pastorale évoquant les bergers italiens se réjouissant de la naissance de Jésus, les deux trompettes placées dans la galerie pour le chœur « For unto Us », le solo de violon de Pascale Giguère dans l’air pour mezzo-soprano « Thou Art Gone up on High » et celui de la hautboïste Marjorie Tremblay dans « How Beautiful are theFeet ».

Le public, qui comptait ce soir-là un invité de marque en la personne du nouveau maire de Québec, Bruno Marchand, a réservé à tous les interprètes et à Jonathan Cohen un accueil plus qu’enthousiaste.

Jonathan Cohen, Le Messie de Haendel, Les Violons du Roy et la Chapelle de Québec, 2021
Photographie : David Mendoza Hélaine

Le Messie de Haendel, Les Violons du Roy et la Chapelle de Québec, 2021
Photographie : David Mendoza Hélaine

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Le Messie de Haendel
8 décembre 2021, 19 h 30
Salle Raoul-Jobin du Palais-Montcalm de Québec

INT : Joélle Harvey (soprano), Allyson McHardy (mezzo-soprano) Andrew Staples (ténor) Neal Davies (baryton-basse)
DM : Jonathan Cohen
ORC : Les Violons du Roy
CHO : La Chapelle de Québec

Production
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