Triptyque : Pour un voyage émotionnel et un perroquet haut en couleurs !
Musique 3 Femmes s’associait avec la SMCQ pour présenter une vitrine sur les créations des récipiendaires du deuxième Mécénat Musica Prix 3 Femmes le 10 octobre dernier. Intitulé « Triptyque », le programme de la soirée incluait des extraits de Justine et les machines de Sonia Paço-Rocchia sur un livret de Marie-Ève Bouchard, la présentation complète de Vanishing Point de Parisa Sabet sur un livret de Nika Khanjani et terminait par des extraits de Plaything de Anna Pidgorna sur un livret de Maria Reva. Les trois œuvres avaient en commun de nous plonger directement dans le quotidien de personnages féminins dont les univers étaient aussi diversifiés qu’originaux.
Ellen Wieser (Justine) et Kristin Hoff (Augusta Holmès), Justine et les machines, SMCQ, 2021
Photographie Jérôme Bertrand
Dans l’opéra de poche Justine et les machines, on entre dans le quotidien de Justine, une écrivaine confrontée au syndrome de la page blanche et dont la plume surdimensionnée ne fait qu’accentuer sa difficulté à écrire. Délaissant la plume, elle se tourne vers son téléphone – lui aussi disproportionné – et se laisse prendre dans le tourbillon des réseaux sociaux, de la pression sociale, du culte des apparences et de la performance, qui met de l’avant la distorsion qui existe entre sa vie réelle et la fausse réalité mise de l’avant sur le web. Constatant le vide de sa réalité torturée par la crainte de voir resurgir le cancer qui l’a jadis affecté et le mythe de l’artiste épanouie qu’elle entretient à coups de « #living the dream », celle-ci décide de revenir aux sources et ressort sa vieille machine à écrire. Elle adresse une lettre à Augusta Holmès, compositrice française oubliée, qu’elle admire et à qui elle demande de l’aide. À sa grande surprise, celle-ci lui répond.
La musique qui accompagne ce récit fait appel à un dispositif électronique qui exploitait judicieusement l’écho lors des passages où Justine était obnubilée par son téléphone et qui rappelait combien les réseaux sociaux peuvent servir de résonateur au quotidien en amplifiant les idées qui y sont véhiculées. Toutefois, par moment, la voix et le dispositif électronique éclipsaient les instruments qui semblaient pourtant avoir de belles partitions, à commencer par le solo de clarinette qui ouvrait l’œuvre. L’interprétation vocale d’Ellen Wieser dans le rôle de Justine – qui alternait entre voix de poitrine et voix de tête – était intéressante, bien maîtrisée et accroissait le relief de sa performance. Dans la scène 8 « Les démons », le travail d’Audrée Southière à la mise en scène était particulièrement réussi et donnait envie de découvrir davantage cette œuvre dont les fragments présentés lors de cette soirée paraissaient un peu trop épars pour bien apprécier le travail de Marie-Ève Bouchard et Sonia Paço-Rocchia.
Frédéricka Petit-Homme (Sara) et J. Marchand Knight (Aida), Vanishing Point, SMCQ, 2021
Photographie Jérôme Bertrand
Le quotidien dans lequel on entre dans Vanishing Point est bien différent : il s’agit de celui de Sara, une mère à la retraite et de sa fille Aida, adulte qui vient lui rendre visite. Au cours de cette rencontre, Aida est témoin d’un moment d’absence de sa mère qui se rappelle Lily, son enfant perdu dont sa fille ignorait l’existence.
J. Marchand Knight, vocaliste queer et non-binaire qui tenait le rôle d’Aida, avait un timbre vocal enveloppant et charmant, mais son jeu scénique aurait gagné à être plus approfondi et nuancé. Sa partenaire Frédéricka Petit-Homme, qui interprétait le rôle de Sara, était très investie dans son personnage tant au point de vue vocal que scénique et sa performance était des plus captivantes. Le passage où, complètement absorbée dans son monde, elle chante une berceuse à son sac à main qu’elle méprend pour son enfant perdu était singulièrement touchant. Le duo a capella à la fin de l’opéra était un beau moment de communion émouvant et le retour à la voix parlée pour les derniers échanges entre la mère et la fille marquait la fin du moment de confusion de la dame et ramenait la discussion autour des habitudes du quotidien, soulignant aussi que ce genre d’épisode fait probablement désormais partie de ce quotidien.
La mise en scène que signait la librettiste Nika Khanjani servait bien le propos de l’œuvre : l’espace où se joue le drame psychologique est celui d’un petit salon meublé de deux fauteuils et d’une console pour préparer le thé. Le soin apporté au choix des costumes était aussi très réussi, surtout dans le cas de la mère incarnée par Frédéricka Petit-Homme qui portait une jupe longue et une veste légèrement trop ample sur ses épaules voutées ; autre aspect de son jeu qui contribuait à rendre son personnage réel et vrai.
Vanishing Point offrait un voyage émotionnel soutenu par une partition d’une grande beauté ; seule œuvre complète du programme, elle témoignait d’un véritable travail d’orfèvre dans le soin porté aux lignes mélodiques et au texte. Son sujet éminemment universel facilitera certainement l’adhésion du public à cette œuvre poignante dans laquelle on reconnaitra les enjeux liés à l’accompagnement d’un proche vieillissant.
Kristin Hoff (Isla) et Rachel Krehm (Madame Suzuki), Plaything, SMCQ, 2021
Photographie Jérôme Bertrand
Des extraits de Plaything d’Anna Pidgorna sur un livret de Maria Reva complétaient la soirée et nous transportaient dans un tout autre registre. En effet, le récit imaginé par Maria Reva est imaginatif, amusant et surtout, inattendu. On entre ainsi dans le quotidien d’Isla, une pirate informatique qui a révélé au monde des informations sensibles à propos de son gouvernement. Pour échapper aux représailles, elle a trouvé refuge au sein d’une ambassade qui lui a accordé l’asile politique, l’enfermant du même coup dans une sorte de prison dorée. Mais un jour, un perroquet se pose à sa fenêtre. Il s’agit de Madame Suzuki, oiseau devenu la mascotte d’un groupe de militants environnementaux qui l’ont dressé à dire des faits sur la déforestation de l’Amazonie. S’ouvre alors entre les deux personnages un dialogue qui n’en est pas vraiment un.
C’est là un défi du livret qu’Anna Pidgorna a su relever avec brio : elle a fait du perroquet un rôle des plus captivants, qui retient l’attention dès son entrée sur scène. Il faut dire que la performance de Rachel Krehm y contribue beaucoup : elle s’abandonne complètement au rôle auquel elle donne corps en s’investissant physiquement. Tantôt debout sur une chaise les bras levés au ciel, tantôt accroupie, elle occupe tout l’espace de la scène, ce qui représente bien le comportement d’un oiseau qui s’agite entre quatre murs. La musique d’Anna Pidgorna renforce encore davantage cet effet : la partition du perroquet est une exubérante profusion d’onomatopées rappelant le célèbre duo de Papageno et Papagena dans La Flûte enchantée de Mozart. Combinés à la présence très vivante de l’interprète, les passages de l’opéra dévolus au perroquet donnent l’impression d’être joyeusement envahi par un volatil. Cela contraste pourtant avec les propos tenus par le perroquet dans son air de la quatrième scène au cours duquel on en apprend davantage sur son parcours. Les circonstances de sa captivité auprès du groupe de militants environnementaux tranchent avec l’apparente joie de vivre que transmet l’oiseau ; en fait, Madame Suzuki a été sauvée d’un feu de forêt et dressée à soutenir la cause des militants. Son histoire se révèle par bribes, à travers les mots qu’elle a appris à répéter à coup d’encouragements. Dans son air, le registre très criard du perroquet sert plutôt à imiter ses gardiens qui répétaient les mots « Good girl, again, want a treat ? », comme pour mettre en évidence que l’absurdité de la situation découle bien plus du comportement des humains que de celui du perroquet.
Le rôle d’Isla, la pirate informatique, était tenu par Kristin Hoff. Dès les premières mesures de l’œuvre, sa présence scénique est envoûtante tant elle interprète son personnage en conviant toute sa physicalité. Chaque mouvement qu’elle effectue est pleinement incarné et ses expressions faciales ajoutaient beaucoup à sa performance. Certes, les extraits de Plaything présentés lors de la soirée laissaient la part belle au rôle du perroquet, mais la très grande qualité de la prestation de Kristin Hoff doit être soulignée. Cet opéra ludique et surprenant a été une belle découverte qui donne envie d’en voir davantage ; espérons qu’il sera servi par la même distribution.
La directrice artistique de Musique 3 Femmes, Jennifer Szeto, écrivait dans le programme que les trois opéras présentés au cours de la soirée portaient la marque du confinement que nous avons connu au cours des derniers mois. Il est vrai que les récits mis en musique par Sonia Paço Rocchia, Parisa Sabet et Anna Pidgorna avaient tous en commun de nous faire entrer dans des espaces clos où l’on faisait la rencontre de personnages enfermés dans leur solitude. Loin d’être inintéressants, les univers présentés par les lauréates du deuxième Mécénat Musica Prix 3 Femmes étaient éclatés, différents et laissent présager de beaux succès à leurs créatrices.
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Triptyque
Vitrine sur les œuvres créées par les lauréates du 2e Mécénat Musica Prix 3 Femmes Production : Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) et Musique 3 Femmes Salle Bourgie, 10 octobre 2021, également en webdiffusion
Extraits de Justine et les machines de Sonia Paço-Rocchia sur un livret de Marie-Ève Bouchard INT : Ellen Wieser (Justine) et Kristin Hoff (Augusta Holmès) DM : Jennifer Szeto ORC : Ensemble de la SMCQ MES : Audrée Southière
Vanishing Point de Parisa Sabet sur un livret de Nika Khanjani INT : Frédéricka Petit-Homme (Sara) et J. Marchand Knight (Aida) DM : Jennifer Szeto ORC : Ensemble de la SMCQ MES : Nika Khanjani
Extraits de Plaything d’Anna Pidgorna sur un livret de Maria Reva INT : Kristin Hoff (Isla) et Rachel Krehm, (Madame Suzuki) DM : Jennifer Szeto ORC : Ensemble de la SMCQ MES : Jessica Derventzis
Triptyque est disponible en webdiffusion gratuitement sur inscription. Pour vous procurez un billet, c’est par ici.
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