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CRITIQUE - L’Elisir d’amore à l’Opéra de Québec : Un élixir de pur bonheur

CRITIQUE - L’Elisir d’amore à l’Opéra de Québec : Un élixir de pur bonheur

Catherine Saint-Arnaud (Adina) et Hugo Laporte (Belcore) dans L'Elisir d'amore, Opéra de Québec, 2021
Photographie: Louise Leblanc

C’est samedi soir dernier qu’avait lieu la première des quatre représentations prévues pour la production de L’Elisir d’amore du compositeur Gaetano Donizetti (1797-1848) de l’Opéra de Québec. L’ambiance était fébrile dans la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec, où se retrouvaient pour la première fois depuis le début de la pandémie les mélomanes de la capitale nationale pour une production régulière de la compagnie d’opéra. Au terme de cette représentation, une seule conclusion n’est possible : l’Opéra de Québec vient de frapper un réel coup de circuit pour son retour en salle ! Distribution fantastique, décor charmant, mise en scène rigolote ; tous les éléments ont été réunis pour faire de cette production un franc succès.

Les premières notes du Prélude nous ont permis d’entendre un Orchestre symphonique de Québec en pleine forme : cuivres brillants, attaques précises et légèreté habituelle inhérente à l’opéra-comique. Cette interprétation pleine d’énergie a su donner le ton pour l’ensemble de l’œuvre, soit un profond respect du style lyrique de Donizetti et une musicalité impeccable. Si les cuivres enterraient parfois les chanteurs et les chanteuses – surtout lors des passages virtuoses chantés très rapidement –, la balance sonore était somme toute adéquate dans son ensemble. 

Au lever du rideau, nous avons découvert un décor épuré et hautement coloré. Un pâté de maisons semblant tout droit sorti d’un petit village italien, quelques vignes vertes pendant des toits et fenêtres, ainsi qu’une jolie fontaine en faux marbre. Les adeptes de mises en scène traditionnelles pouvaient dès lors se réjouir : nous n’avions pas ici affaire à un Elisir qui se déroulerait à l’époque contemporaine ou encore… au far west – comme l’avait proposé le ténor Rolando Villazón qui signait la mise en scène de cet opéra à Baden-Baden en 2012 et que l’on peut visionner sur Medici.tv, dont la thématique de saloon et de cowboys avait fait couler beaucoup d’encre. Finalement, une simulation du ciel sur un écran géant déployé sur toute l’arrière de la scène aidait grandement à situer le temps dans cette histoire qui ne se déroule qu’en une journée. Plus on avançait dans le drame, plus le bleu éclatant laissait place à un bleu plus sombre et même aux couleurs rappelant le coucher du soleil.

Que dire maintenant de la qualité de l’interprétation qui nous a été offerte lors de la première de cet Elisir ! La distribution comportait des artistes bien connus des mélomanes du Québec, comme la soprano Catherine St-Arnaud, le baryton Hugo Laporte et la soprano Lucie St-Martin, puis deux chanteurs venus tout droit de France pour la production, soit le ténor Julien Dran et le baryton-basse Julien Véronèse. Le résultat de l’agencement de ces artistes est au-delà de toute attente : leurs qualités vocales sont époustouflantes et appuyées par une forte technique. L’ensemble de la distribution a su se démarquer à plusieurs niveaux durant la représentation. Julien Dran, qui interprète Nemorino, a conquis dès le début de son premier air, « Quanto è bella ». La rondeur de son timbre vocal convient parfaitement au bel canto italien et sa projection est stupéfiante. Il surpasse sans difficulté l’orchestre et est à l’aise dans tous les registres de nuance : quelques passages pianissimo rendaient pleinement compte de ses capacités vocales. De plus, la grande habileté avec laquelle il a su incarner son personnage est également à souligner. Le rôle de Nemorino est particulièrement exigeant du point de vue du jeu : tantôt il est désemparé et triste, tantôt il est complètement ivre et joyeux. Julien Dran a su être convainquant sur toute la ligne et pour cela, entre autres, on peut dire que son début sur la scène québécoise constitue une véritable réussite.

Julien Véronèse (Dulcamara) et Julien Dran (Nemorino) dans L'Elisir d'amore, Opéra de Québec, 2021
Photographie: Louise Leblanc

Sa compagne de scène, Catherine Saint-Arnaud, a elle aussi grandement impressionné par sa technique vocale. Elle a interprété avec brio tous les passages de gymnastique vocale compris dans le rôle d’Adina et s’est particulièrement démarquée dans la charmante barcarolle pour deux chantée lors des noces au deuxième acte. Si, par moment, son jeu scénique était plus ou moins convainquant, elle a tout de même su charmer le public avec son air narquois et toute la sensibilité véhiculée dans les derniers airs de l’œuvre, durant lesquels elle avoue son amour à Nemorino.

Julien Véronèse (Dulcamara) et Catherine Saint-Arnaud (Adina), dans L'Elisir d'amore, Opéra de Québec, 2021
Photographie: Louise Leblanc

Les trois autres personnages étaient tout aussi plaisant à entendre et à regarder. Hugo Laporte fait un excellent sergent Belcore ; il sait convier toute l’exubérance que requiert ce personnage et chante le rôle avec une rectitude impressionnante. Julien Véronèse a fait de même avec son Dulcamara : ses talents d’acteur procuraient au personnage tout le comique qui le caractérise. Vêtu de son complet mauve et arborant fièrement une chemise aux motifs assez kitsch, il a fait rire l’auditoire à plusieurs reprises, notamment lors de son interprétation de la barcarolle précédemment mentionnée, durant laquelle il personnifiait un vieillard tentant de conquérir sa belle. Quant à Lucie St-Martin, elle a définitivement laissé sa marque au travers de cette production. Sa présence scénique est des plus captivantes : elle se démarque de ses collègues par la grande qualité de son jeu. Si nous l’entendions très bien lors des différents airs de groupe, on avait très hâte de l’entendre chanter son air solo, le « Saria possibile ? » du deuxième acte. Avec celui-ci, elle n’a pas déçu et au contraire : on en aurait voulu beaucoup plus ! Il ne reste qu’à espérer qu’elle décroche prochainement un rôle principal, qui nous permettrait d’apprécier à leur juste valeur ses multiples qualités musicales. 

Quelle joie également que de voir arriver sur la scène dès le début de l’opéra un chœur d’une vingtaine d’artistes lyriques interprétant le premier air, « Bel conforto ». En ces temps où la distanciation sociale s’estompe peu à peu, mais reste toujours fortement encouragée, il était rafraîchissant de voir une petite foule se promener à travers les décors. La mise en scène, soigneusement organisée, permettait d’oublier cette distanciation le temps d’un opéra. On sentait également, dans l’ensemble de la distribution qui se partageait la scène, une grande joie de pouvoir se produire à nouveau devant public, ce qui a empreint la production d’une excitation contagieuse. 

Le metteur en scène Alain Gauthier a su capturer l’essence de l’opéra-comique de diverses façons avec sa mise en scène, en mettant notamment l’accent sur un cynisme qui n’a pas manqué de faire rire le public. Que ce soit en incorporant de la danse en ligne, en intégrant un personnage muet qui accompagnait systématiquement Dulcamara de façon très cocasse ou en faisant même participer le chef d’orchestre, qui brandissait à un moment clé du drame une bouteille d’élixir hors de la fosse d’orchestre, Gauthier a créé un univers complètement comique devant lequel il était difficile d’arrêter de sourire. En outre, l'espace scénique est utilisé dans son ensemble, tant dans les duos que durant les airs de groupe. L'oeil est constamment stimulé et cela contribue à la fluidité non seulement des transitions entre les airs, mais également de l'oeuvre dans son entièreté. 

Il est donc tout à fait adéquat de dire que l’Opéra de Québec a visé juste avec sa production de L’Elisir d’amore, qui procure une bonne dose de bonheur comme tout excellent élixir digne de ce nom saurait le faire.

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L'Elisir d'amore
Opéra de Gaetano Donizetti sur un livret de Felice Romani
Production : Opéra de Québec
Grand Théâtre de Québec, 23 octobre 2021

INT : Catherine Saint-Arnaud (Adina), Julien Dran (Nemorino), Hugo Laporte (Belcore), Julien       Véronèse (Dulcamara) et Lucie St-Martin (Gianetta)
DM : Jean-Michel Malouf
ORC : Orchestre symphonique de Québec
MES : Alain Gauthier

Production
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