Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal- L’heureuse rencontre de la chanteuse-poète Rose Naggar-Tremblay et du compositeur-mélodiste Éric Champagne
Pour son retour en salle, l’Opéra de Montréal et son Atelier lyrique avait choisi de convier les lyricomanes de la Métropole à la Place des Arts à un récital mettant une valeur deux jeunes artistes lyriques aux carrières prometteuses, le baryton-basse Jean-Philippe Mc Clish et la mezzo-soprano Rose Naggar-Tremblay. Si la distanciation imposée par les mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19 ne permettait d’accueillir un peu plus d’une cinquante personnes dans le magnifique Piano Nobile de la salle Wilfrid-Pelletier, le public a pu non seulement renouer avec le plaisir de l’art lyrique vivant mais aussi assister à la création mondiale d’une œuvre d’Éric Champagne qui s’affirme comme l’un des grands compositeurs de sa génération.
Jean-Philippe Mc Clish et le pianiste Julien LeBlanc
Le récital débutait par une interprétation des Songs of Travel de Ralph Vaughn Williams. Composées en 1901 et 1904 et étant la première incursion du compositeur anglais dans le genre « mélodies », les neuf pièces veulent traduire, comme l’ont fait avant lui Franz Schubert dans son Wintereise (Voyage d’hier) » ou Gustav Mahler dans ses Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d’un compagnon errant), les états d’âme du voyageur en détresse. Jean-Philippe Mc Clisch traduit fort bien cette détresse, tant au plan vocal qu’au plan dramatique, du début à la fin du cycle. Entre « The Vagabond », la première mélodie du cycle, et le « I have Trod the Upward and the Downward Slope » qui le conclut, le résident de l’Atelier lyrique réussit à nous faire pénétrer dans l’univers intérieur et complexe de ce voyageur dont le périple doit continuer pour toujours, même au-delà de la mort. Les plus moments du cycle au plan vocal sont sans nul doute l’interprétation du sombre « In Dreams », mais aussi de l’« Infinite Shining Heavens » et le « Whither Must I Wander » - cette dernière étant plus belle et la plus connue des mélodies du cycle - où Jean-Philippe McClish se montrent capable de moduler sa voix pour illustrer tant l’angoisse, la joie que la lumière. Le chanteur n’arrive pas toujours à conserver la même couleur dans la limite grave – si belle - que dans l’aigu, mais sa prestation d’ensemble démontre l’incomparable progrès réalisé par le jeune artiste depuis son arrivée à l’Atelier lyrique et permet de croire qu’une très belle carrière s’annonce pour celui-ci.
Après ce premier « Cycle », l’événement se poursuivait avec la création mondiale d’un cycle de cinq mélodies sur des poèmes de Rose Naggar-Tremblay, dont la résidence à l’Atelier lyrique s’est caractérisée par un exceptionnel dynamisme et pendant laquelle elle a fait flèche de tout bois. Qu’elle ait initié un processus de création en pleine ère pand.mique un projet qui a conduit à la création d’une nouvelle œuvre – ce qui lui aura donné des ailes comme elle le dira avant début de sa prestation, est tout à son honneur. Choisir le du compositeur Éric Champagne- lauréat du prestigieux prix Opus du compositeur de l’année 2020 pour mettre ses paroles en musique s’est aussi avéré judicieux car ces nouvelles pièces consacrent le talent de mélodiste de ce compositeur qui s’est aventuré dans l’écriture vocale dans ses « Airs mélancoliques sur des poèmes de Paul Verlaine » et « L’étincelle suffit à la constellation » pour ténor et piano.
Dans cette nouvelle œuvre composée en étroite collaboration la poète, le compositeur a su incarner ce rapport à la musique que l’« auteure-compositrice-interprète lyrique » - comme elle s’est qualifiée – a voulu décrire dans les cinq mélodies du cycle. Introduites par de courts prologues français, les paroles des mélodies de Naggar-Tremblay sont en anglais, un choix qui résulte de l’expérience vécue lors de la production de Twenty-Seven de Ricky Ian Gordon et Royce Vavrek dans laquelle elle a tenu le rôle de l’écrivaine Gertrude Stein.
Conseillée au plan dramatique par le metteur en scène Alain Gauthier, la mezzo-soprano livre une émouvante interprétation de cette succession de tableaux qui rappellent Debussy ou Ravel - ou serait-ce plutôt Britten ou Copland – et qui propose une symbiose entre mots et musiques si nécessaire à ce genre. Agrémentées pour plusieurs entre elles d’élégantes vocalises, les mélodies ont chacune leur caractère, la dernière « Friend », étant sans doute celle où la voix de l’artiste sert le plus admirablement la musique du compositeur, avec les nuances et les couleurs qui s’imposent… et nous préparent à cette chute, avec les mots que le soussigné considère les plus beaux de ces poèmes et concluent le cycle sur une si belle note d'optimisme : « Parce que je n’ai plus peur des départs / Je m’arrête sur le porche un instant / Et savoure ».
Présentée le lendemain, en u 15 avril 2021, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, ce récital a également été diffusé sur la plateforme Vimeo. Il est à espérer qu’une autre vie lui soit donnée car Jean-Philippe Mc Clish et Rose Naggar-Tremblay – fort bien servis, l’un et l’autre, par leur pianiste Julien LeBlanc – méritent que leurs prestations soient entendues par le plus grand nombre, ce qui vaut tout autant pour la nouvelle œuvre d’Éric Champagne.
Cycles
Concert en présentiel à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, 14 avril 2021
Atelier lyrique de l'Opéra de MOntréal
En webdiffussion
Songs of Travel
Poèmes de Robert Louis Stevenson et musique de Ralph Vaughan Williams
INT : Jean-Philippe Mc Clish, baryton-basse
Healing (I, II, II, IV et V)
Poèmes de Rose Naggar-Tremblay et musique d’Éric Champagne (Création mondiale)
INT: Rose Naggar-Tremblay, mezzo-soprano
PIA: Julien LeBlanc (pour les deux parties du récital)
ANNEXE
Healing
Poèmes de Rose Naggar-Tremblay
I
Si lorsque je chante la voix semble grande et forte,
elle n’est que l'assemblage frénétique d'une multitude de petits cris.
If I could get all my shattered selves to reconcile
All the broken stain-glass to reunite
Into the bright red rose
I was born to be
If I could sing again
Stream of my true heart pouring into yours
If I could sing as I did
Before singing became the source of all meaning
Or was it ever anything else
Anything else than everything
Did I ever stand a chance as it burst out of me
With the will of my mother and grandmothers and father and grandfathers
Did I ever stand a chance to stay whole?
If I could make my way back into one self
Would I?
II
Réfugiée dans ta langue
Pour guérir de mes mots
Would you touch me
Would you touch me as if you never touched skin before
Would you hold me
Would you hold me as if we were whole and holy
Would you love me
Would you love me as if we were meant to be
Would you take me
Take me away
Love me away
Touch me away
From me
III
Comment aimer entièrement d’un cœur morcelé?
I had fallen before
Over steep climbs and sharply excavated quarries
Surrendered my strength in wishful blindness
Believing bones would grow stronger
Once broken
As I fall again
Living, loving, dreaming, trying
In the warm welcoming waters of a giving hand
I trust that bones do grow stronger
Once healed
IV
De ce que l’on donne à ce que l’on prend
Moulins à vents?
I borrowed a home
Built upon memories unknown
Letting its tales drift through me
As I rested
I was not lonely
Only alone
I was on my own
Plenty
V
Le jour où j’arrêterai de perdre mes clés
Je te ferai un double
Friend
You provided shadowy shelter
From the burning rays and winds
You offered a playground for thousands imaginary guests
Yet I wept on your roots in reprehension
For the fruits you could not bear
I come today in amity
Seeking forgiveness for my foolish query
And find you strong and blooming
How humbling to contemplate
Your meaning thrived
Beyond my care
And I am grown too
Parce que je n’ai plus peur des départs
Je m’arrête sur le porche un instant
Et savoure
- Production