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CRITIQUE - Orchestre classique de Montréal - DE YEREVAN À MONTRÉAL : une bouleversante interprétation des extraits de l’opéra arménien Anoush par Aline Kutan

CRITIQUE - Orchestre classique de Montréal - DE YEREVAN À MONTRÉAL :  une bouleversante interprétation des extraits de l’opéra arménien Anoush par Aline Kutan

Aline Kutan
OCM- De Yerevan à Montréal
9 mars 2021
Capture d'écran : Daniel Turp

Poursuivant une saison sur le thème « Le tour du monde en musique », caractérisée par la richesse et la diversité de ses programmes, l’ Orchestre classique de Montréal (OCM) diffusait en direct de la salle Pierre-Mercure, le 9 mars dernier, un concert mettant en valeur la voix, plus particulièrement celle d’une grande artiste lyrique d’ici : la soprano Aline Kutan. Présenté avec l’éloquence qu’on lui connaît par son directeur général Taras Kulish, et destiné à recueillir des fonds pour les programmes de musique pour les enfants défavorisés par l’entremise de la Fondation arménienne Atken, le concert comportait des œuvres de trois compositeurs arméniens : le célébrissime Aram Khatchaturyan, entre autres, mais aussi deux pièces instrumentales de Kevork Andonian et des extraits de l’opéra Anoush d’Armen Tigranian.

Le directeur artistique et chef de l’OCM Boris Brott a décidé d’ouvrir le concert avec deux pièces de son père Alexander Brott - le chef fondateur de l’Orchestre de chambre McGill auquel succède l’Orchestre classique de Montréal. Créée en 1942, la première pièce, Ritual pour quatuor à cordes et orchestre de chambre, s’est avérée une très belle entrée en matière et a permis de découvrir une musique dont les sonorités rappellent celles d’Elgar ou Vaughan Williams. La distanciation qu’imposaient les mesures sanitaires n’aura aucunement nui à la cohésion des 14 instrumentistes de l’OCM, son premier violon Marc Djovic se distinguant particulièrement en rendant fort bien les lignes mélodiques et chantantes de l’œuvre.

C’est avec une œuvre vocale d’Alexander Brott que s’est poursuivi le programme, permettant la première prestation d’Aline Kutan. Interprétant les Songs of Contemplation, qui ont été créés en 1945 et enregistrés par la contralto Maureen Forrester en 1985, Aline Kutan y a déployé tout son talent. La poésie d’Anon, Houghton, Rossetti et Tennison ont été très bien servies par l’impeccable diction de la soprano, mais également par cette capacité d’émouvoir qu’elle possède et maîtrise tout à la fois. Si le caractère contemplatif de l’œuvre avait été mieux servi sans regard sur une partition, les vocalises de l’interprète ont traduit avec justesse la dimension éminemment nostalgique de ce cycle. La chanson Cradle Song est assurément celle qui a convaincu du talent de mélodiste d’Alexander Brott, mais aussi de la versatilité vocale d’Aline Kutan. La voix de cette colorature et « Reine québécoise de la nuit » (L’Opéra, no 18 (Hiver 2019), p. 12), est capable de nous bercer et de nous faire entrer dans l’intimité d’une musique qui a été dédiée à l’épouse du compositeur, Lotte Brott, à l'occasion de la naissance de leur fils ainé… Boris!

Le concert du 9 mars était aussi l’occasion pour l’OCM de faire entendre deux œuvres du compositeur canado-arménien Kevork Andonian. Introduites par visioconférence et en direct de Los Angeles par le compositeur lui-même, ces deux pièces ont d’ailleurs été présentées en première canadienne s’agissant de Lament et en première mondiale pour Revival. Si le langage et la simplicité de la première ont révélé de belles aptitudes compositionnelles, c’est la deuxième qui a suscité un réel intérêt. De style néo-tonal comme Lament, composé pour un chœur a capella et transcrite pour orchestre à cordes, Revival traduit en musique le « Notre père » de la Messe liturgique arménienne et révèle des couleurs instrumentales contrastées, dont on peut penser qu’elles évoquent la lutte récente d’une nation arménienne ayant dû à nouveau résister à des assauts répétés dans le cadre du conflit en République d’Artzakh (Haut-Karabagh).


Kevork Andonian

Un concert visant à parcourir le chemin entre Yerevan et Montréal ne pouvait ignorer celui qui est sans doute le plus connu des musiciens du pays de l’Ararat, Aram Khatchaturyan. Jouée dans une réduction pour orchestre à cordes de Nuhran Arman de la Sinfonia de Toronto, la Suite Mascarade permettait aux membres de l’OCM de créer un moment festif durant le concert en interprétant de façon aussi énergique qu’endiablée cette musique destinée à l’origine pour la pièce éponyme du grand dramaturge – et héritier de Pouchkine – Mikhaël Lermontov. Habilement dirigés par Boris Brott, quatre des cinq mouvements de l’œuvre permettaient aux membres de l’OCM de se dépasser, ce qui a été particulièrement le cas dans la Valse romantique, dont l’interprétation faisait écho aux paroles du personnage de Nina : « Que c'est beau cette nouvelle valse... quelque chose entre la tristesse et la joie a saisi mon cœur ».


Aline Kutan et Boris Brott
OCM- De Yerevan à Montréal
9 mars 2021
Capture d'écran : Daniel Turp

La soirée s’est conclue sur des extraits de l’opéra Anoush d’Armen Tigranian dans une réduction pour orhchestre de chambre et piano du compositeur arménien Stepan Shakaryan. Présenté par Aline Kutan et construit autour d’une histoire d’amour entre une paysanne et un berger rappelant par ses thèmes d’autres œuvres lyriques comme Roméo et Juliette ou Tosca, ce premier opéra arménien gagne à être connu. Le découvrir à travers la voix de cette Québécoise d’adoption, qui comme tant d’autres artistes de la diaspora arménienne incarnent la résilience de ce peuple courageux, offre une expérience à chérir. Ses interprétations de l’air d’Anoush et de la scène de la folie sont tout simplement bouleversantes et expliquent les succès internationaux que lui a valus le rôle-titre de l’œuvre au Michigan Opera Theater en 2001 (sous la direction musicale de Raffi Armenian) et à l’Opéra Théâtre de Yerevan, en 2008. Toujours puissante, la voix d’Aline Kutan est, du grave à l’aigu, cristalline. Cela est sans parler de l’intensité dramatique dont elle est capable pour illustrer le désespoir du personnage. Qu’il nous soit permis de rêver et de caresser l’espoir qu’une version concertante ou mieux encore, une production scénique de l’opéra soit présentée sur une scène d’ici… avec Aline Kutan dans les habits d’Anoush !

Si la réalisation sonore n’a pas été exempte de quelques problèmes dans la partie vocale du concert, la captation visuelle effectuée par Guillaume Lombart et l’équipe Livetoune a su bien mettre en valeur les instrumentistes de l’OCM, son chef et la soliste

Quel magnifique concert en définitive ! « Le tour du monde en musique de l’OCM » se poursuivra d’ailleurs par la présentation d’un concert transmis en webdiffusion du 30 mars au 13 avril 2021, auquel prendra part la mezzo-soprano Julie Boulianne.


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De Yerevan à Montréal

Mardi 9 mars à 19 h 30 (concert accessible en différé jusqu’au 23 mars 2020 ici et introduit par un Forum animé par Boris Brott auquel participe notamment Aline Kutan disponible sur la page Facebook de l’OCM ici)

INT : Aline Kutan, soprano
DM : Boris Brott, chef et directeur artistique de l’OCM
ORC : Orchestre classique de Montréal
PIA : Rich Coburn

Production
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