Critiques

Opéra de Montréal- D’une sensibilité déchirante : L’Hiver attend beaucoup de moi et La Voix humaine

Opéra de Montréal- D’une sensibilité déchirante : L’Hiver attend beaucoup de moi et La Voix humaine


Florence Bourget (Madeleine) et Vanessa Croome (Léa)
L'Hiver attend beaucoup de moi de Laurence Jobidon et Pascale St-Onge
Opéra de Montréal, 2020

C’est hier soir, le 5 novembre 2020, que l’Opéra de Montréal diffusait, par la voie numérique, la création tant attendue de L’Hiver attend beaucoup de moi de Laurence Jobidon et Pascale St-Onge. Le programme double, qui incluait La Voix humaine de Francis Poulenc, devait initialement être présenté au mois de mars dernier au Théâtre Espace Go. Puis, les représentations ont été déplacées au Théâtre Maisonneuve à la fin du mois d’octobre dans le but de respecter les règles sanitaires mises en place par le gouvernement du Québec. Toutefois, la réalité de la deuxième vague de la COVID-19 a rapidement rattrapé le domaine culturel qui s’est vu obligé de replonger dans un nouveau confinement. 

L’Opéra de Montréal a tout de même décidé d’aller de l’avant en offrant ses productions de manière virtuelle. Après une première expérience numérique avec sa production de La Bohème présentée en 2017, webdiffusée du 22 octobre au 5 novembre, cette deuxième aventure virtuelle de la compagnie lyrique montréalaise a bien été réussie, malgré qu’il faille tout de même noter un décalage sonore d’une seconde tout au plus, suggérant que certains ajustements sont nécessaires pour mieux faire apprécier le virage numérique qui s’impose en période de pandémie… et qui est sans doute là pour rester !

La webdiffusion débutait avec la tragédie lyrique de Poulenc avec comme seule et unique personne sur scène, l’excellente France Bellemare. Brillamment accompagnée par Esther Gonthier au piano, la soprano a livré une magnifique et poignante performance dans son rôle d’une jeune femme aux prises avec une rupture amoureuse des plus déchirantes – de celles qui torturent l’âme. Alors que cette dernière semble se dérouler par téléphone, elle porte à son paroxysme la difficulté de communication d’une telle situation. Mentionnons aussi qu’à l’époque de la création de l’œuvre, les lignes téléphoniques ne permettaient pas d’obtenir toute l’intimité désirée, ce qui est rappelé à de nombreuses reprises dans les paroles de Cocteau. Par ailleurs, comme le public n’a accès qu’à une moitié du dialogue – l’interlocuteur de la jeune femme est absent et n’apparaît jamais – cela rend la compréhension du désespoir du personnage presque déconcertante. Néanmoins, France Bellemare a exprimé avec brio les émotions de la femme qu’elle incarnait.


France Bellemare
La Voix humaine de Francis Poulenc
Opéra de Montréal, 2020

Le jeu de lumières colorées s’arrimait bien aux émotions présentées par la chanteuse et était plus que bienvenue dans un décor très minimaliste. Celui-ci détonnait d’ailleurs avec le costume de la soprano, qui lui, nous ramenait directement, de manière peut-être un peu dépassée, aux années 1950. Pourtant, le sujet presque intemporel de l’œuvre aurait très bien pu être actualisé dans l’ensemble des décors présentés. 

En outre, la voiture présente sur scène, qui était un élément visuel servant à lier les deux programmes, ne semblait pas faire sens au début de la représentation. Pourtant, alors que la souffrance ressentie par la jeune femme ne faisait que s’exacerber au cours de la prestation et que les paroles de celles-ci reflétaient maintenant le gouffre profond dans lequel elle était désormais plongée, le véhicule devenait alors, petit à petit, un moyen efficace pour s’en échapper. C’est ainsi qu’au bout de sa peine et de son tragique sentiment d’abandon, la soprano s’est couchée devant le véhicule enfumé, laissant au spectateur l’horrible tâche de deviner son funeste destin.

Le sentiment de tristesse laissé par cette première œuvre s’est rapidement déplacé vers la création de L’Hiver attend beaucoup de moi, présentée en deuxième partie. Interprétée par deux merveilleuses artistes – la soprano Vanessa Croome et la mezzo-soprano Florence Bourget –, cette production a plongé son public virtuel dans la réalité des plus douloureuses qu’est la violence conjugale. Elle n’était pas non plus sans rappeler les situations difficiles – le mot est faible – vécues par les femmes autochtones ou celles vivant en des territoires plus éloignés.

L’œuvre décrivait ainsi l’histoire de Madeleine et Léa, deux femmes aux passés similaires. Le récit débute alors que Madeleine, qui a tout d’abord offert de l’aide à Léa en l’amenant vers une maison brûlante – un refuge pour femmes violentées –, s’arrête sur la route et se met à chercher un objet, créant une atmosphère de mystère. Cela semble de prime abord absurde, puisqu’elles se retrouvent au beau milieu d’une route enneigée. Pourtant, nous comprenons rapidement que Madeleine cherche dans son passé, qui est tout aussi trouble que l’est la vie de Léa. Le récit nous place ainsi devant les choix presque insupportables que doivent faire ces femmes pour sauver leur vie, mais aussi celles de leurs enfants à venir. Il nous confronte à l’abandon que ces femmes pensent imposer à leur mari, à la peur de la perte de leur vie, mais aussi à leur quotidien et au « confort » qu’est devenue leur réalité. L’histoire nous mène à découvrir le courage qu’ont ces femmes et le poids qu’elles portent et porteront toute leur vie sur leurs épaules.

La tâche qu’avait Florence Bourget et Vanessa Croome de présenter cette œuvre d’une charge émotionnelle si vive a été livré dans une touchante prestation.  Si leur complicité et leur jeu étaient par ailleurs exceptionnels, la douleur qu’elles exprimaient exposait une sensibilité infiniment personnelle. Ainsi, Croome transmettait un désespoir qui pouvait éveiller l’empathie, alors que l’angoisse de Bourget déchirait l’âme. L’actualité de ce sujet a certainement permis de soulever bien des émotions chez les deux jeunes chanteuses. 

Si la mise en scène de Solène Paré était, comme celle de La Voix humaine, minimaliste, elle était plus enracinée dans le propos. Le jeu de lumière se rattachait tout aussi bien au synopsis de l’œuvre qui permettait éventuellement de faire naître un peu d’espoir dans la tempête.

Rendue avec une immense douceur et une précision qui m’a semblé sans faille par la pianiste Jennifer Szeto, la musique très imagée de Laurence Jobidon soulignait toute l’intensité du propos de l’œuvre. La description des personnages qui était somme toute peu étoffée permettait à l’auditoire de s’attacher davantage à ces derniers en laissant place à l’interprétation personnelle. Les mots choisis par St-Onge transportaient quant à eux avec justesse l’importante charge émotionnelle du récit. Je ne peux citer que les mots « en souvenir d’elles » soutenus à la fois avec sensibilité et déchirement par la mezzo-soprano à la fin d’un de ses airs – une coïncidence douloureuse dans l’histoire des femmes d’ici.

L’image donnée à la résilience, au courage et à la solidarité des femmes a fait de L’Hiver attend beaucoup de moi une œuvre d’exception. Les autrices de cet opéra du XXIe siècle ont visé juste dans leur création portée à la scène par une équipe entièrement féminine. C’est une chance inouïe que nous avons eu de découvrir ces jeunes artistes de talent qui, espérons-le, porteront notre histoire sur les plus grandes scènes. 

*****

La Voix humaine, tragédie lyrique de Francis Poulenc en un acte sur un livret de Jean Cocteau

Production : Opéra de Montréal
Présenté en webdiffusion, 5 novembre 2020

INT : France Bellemare (Elle)
DM : Esther Gonthier
PIA : Esther Gonthier
MES : Solène Paré 

L’Hiver attend beaucoup de moi, opéra de Laurence Jobidon en un acte sur un livret de Pascale St-Onge

Production : Opéra de Montréal
Présenté en webdiffusion, 5 novembre 2020

INT : Florence Bourget (Madeleine), Vanessa Croome (Léa)
DM : Jennifer Szeto
PIA: Jennifer Szeto
MES : Solène Paré

Webdiffusions disponibles jusqu’au 19 novembre 2020

Production
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