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CRITIQUE- Orchestre classique de Montréal- L'opéra As One : Un chef-d’œuvre tout en subtilité

CRITIQUE- Orchestre classique de Montréal- L'opéra As One : Un chef-d’œuvre tout en subtilité


Philip Addis (Hannah avant) et Sarah Bissonnette (Hannah après)
As One de Laura Kaminsky
Orchestre classique de Montréal, 2020
Photographie : Annette B. Woloshen

Présenté comme un opéra de chambre en trois parties, As One peut aussi être abordé comme un cycle de chansons à propos de la réalité des personnes transgenres. En effet, les 15 numéros qui composent l’œuvre ne constituent pas un récit, mais nous invitent plutôt à suivre le personnage d’Hannah dans la découverte et l’acceptation de son identité. Il y a certes une progression chronologique qui nous fait passer de l’enfance à l’âge adulte à travers les trois parties de l’opéra, mais chaque chanson décrit un moment clé de son cheminement et tous les numéros sont autonomes et font sens par eux-mêmes.   

La très grande subtilité avec laquelle ce thème était traité découle du fait que le récit est inspiré du vécu de Kimberly Reed, l’une des signataires du livret, elle-même une femme trans. Cela contribue à faire de l’œuvre un récit très personnel et c’est sans doute ce qui explique par ailleurs que As One donne lieu à des scènes aussi touchantes que puissantes. Le souci des détails apportés dans la description des situations qu’elle raconte nous dévoile sa vulnérabilité et nous permet de plonger dans son univers.

Coécrit avec Mark Campbell – que l’on connait pour Silent Night présenté à l’Opéra de Montréal en 2015 –, le livret est d’une richesse impressionnante. La finesse des images qui sont invoquées pour faire allusion à l’éveil que connaît Hannah est forte : la métaphore de l’écriture durant la première partie, alors qu’elle relate son apprentissage de la calligraphie cursive au primaire et que son professeur la rabroue parce qu’elle écrivait dans un style très orné avec de grandes lignes courbes, est particulièrement évocatrice. Lorsque cette métaphore revient à la fin de l’œuvre au moment où elle signe enfin « Hannah » de son écriture toute en courbe, cette image incarne alors la pleine acceptation de soi, mais aussi, la capacité à s’exprimer librement. 

Le livret regorge d’autres épisodes aussi poétiques. La description de la tournée de livraison des journaux à bicyclette ou encore, le passage racontant le cours d’éducation à la sexualité à l’école sont non seulement touchants, mais aussi très drôles par leur caractère ludique. À cela s’oppose toutefois un moment d’une grande intensité dramatique à la fin de la deuxième partie, lorsqu’Hannah vit une agression troublante qui se superpose avec l’énonciation de noms de personnes transgenres assassinées à la suite d’incidents similaires. 


Philip Addis (Hannah avant)
As One de Laura Kaminsky
Orchestre classique de Montréal, 2020
Photographie : Annette B. Woloshen

L’unique personnage de cet opéra, celui d’Hannah, était tenu à la fois par un chanteur, Phillip Addis, et par une chanteuse, Sarah Bissonnette, qui incarnaient respectivement Hannah avant et après comme l’ont spécifié les librettistes. Dès le début de la représentation, qui était webdiffusée en direct le 20 novembre dernier, la performance de Phillip Addis a retenu l’attention. Il était aussi investi vocalement que physiquement dans la représentation de son personnage, ce qui rendait son interprétation captivante. Si sa partenaire scénique, Sarah Bissonnette, était parfois éclipsée par lui, leur performance était de très haut niveau, ce qui représente un tour de force sachant que l’œuvre a été montée en tout juste sept jours avec les règles sanitaires en vigueur. 

Sarah Bissonnette (Hannah après)
As One de Laura Kaminsky
Orchestre classique de Montréal, 2020
Photographie : Annette B. Woloshen

La mise en scène respectait ainsi la distanciation physique, mais cela n’a pas semblé être un obstacle ; la metteuse en scène Eda Holmes a bien su exploiter l’espace en créant un univers qui englobait toute la scène. Le décor se résumait à deux chaises placées de chaque côté de la scène qui faisaient office de véhicules d’un univers à l’autre : de vélo, à table de café ; de bureau d’ordinateur à barque sur un lac de Norvège. Loin d’être statique, la mise en scène d’Eda Holmes, qui a un parcours en danse classique, exploitait l’élément commun à la danse et à la musique qui est le temps mesuré. Cela transparaissait dans le soin porté à la gestuelle des chanteurs notamment lorsqu’ils décrivaient des arabesques avec leurs bras pour mimer l’action d’écrire. Simple et épurée, la mise en scène mettait en valeur l’œuvre ce qui en augmentait encore l’expressivité. 

La partition de la compositrice Laura Kaminsky est accessible et d’une grande beauté. La musique complémente le livret et guide le public à travers l’œuvre en fournissant des indications sur l’univers de chaque numéro du cycle. Par exemple, le passage sur la fête de Noël était habilement introduit par une citation du cantique Sainte nuit, ce qui permettait à l’auditeur de se situer en faisant appel à des références connues.  La cheffe Geneviève Leclair et les musiciens du quatuor de l’Orchestre classique de Montréal étaient activement impliqués au-delà de la simple exécution de la partition alors qu’ils ont été appelés à chanter à quelques reprises. 

As One aborde des thématiques sensibles avec beaucoup de délicatesse. L’œuvre est sans conteste un chef-d’œuvre que la production montréalaise a su présenter avec tout le soin qu’il incombait. 

 *****

As One, opéra de chambre en trois parties de Laura Kaminsky sur un livret de Kimberly Reed et Mark Campbell

Production : Orchestre classique de Montréal 20 novembre 2020, cirque Eloize, en webdiffusion jusqu’au 4 décembre 2020 

INT : Phillip Addis (Hannah avant la transition), Sarah Bissonnette (Hannah après la transition)
DM : Geneviève Leclair
INS : Quatuor à cordes de l’Orchestre classique de Montréal (OCM) : Marc Djokic (violon I), Alex Lozowski (violon II), Annie Parent (alto), Chloé Dominguez (violoncelle)
MES : Eda Holmes
AN : Tranna Wintou

Philip Addis (Hannah avant), Geneviève Leclair (chef) et Sarah Bissonnette (Hannah après)
As One de Laura Kaminsky
Orchestre classique de Montréal, 2020
Photographie : Annette B. Woloshen

Production
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