Orchestre symphonique de Québec- Rossini en pandémie
Julienne Boulianne et Marie-Nicole Lemieux
Orchestre symphonique de Québec, 19 août 2020
Photographie : Cécile Testud
Que fallait-il pour me faire sortir de ma tanière et que j’ose pour la première fois depuis mars remettre les pieds dans une salle de concert ? La rencontre de deux de nos plus belles voix féminines sur la scène du Grand Théâtre de Québec, en compagnie de l’orchestre symphonique de Québec, et la fantaisie débridée des plus beaux airs de Rossini. La vie musicale reprenant doucement ses droits dans la Capitale nationale, c’est le deuxième concert que présente l’Orchestre symphonique de Québec à la salle Louis-Fréchette devant un public restreint. Toutes les précautions étant prises pour que 250 personnes puissent assister en toute confiance à un spectacle, les billets se sont rapidement envolés, et la manière dont le public était placé au parterre et à la corbeille donnait l’illusion d’une salle bien remplie.
La soirée avait été annoncée comme la première rencontre sur scène de deux cousines, la contralto Marie-Nicole Lemieux et la mezzo-soprano Julie Boulianne. À voir leur belle complicité, on avait l’impression d’assister à un partenariat de longue date, et l’on sentait qu’elles devaient faire un effort surhumain pour respecter la distanciation entre elles. Le concert comprenait des ouvertures de deux opéras de Rossini, Il Barbiere di et L'Italiana in Algeri vigoureusement dirigées par Nicolas Ellis, un des anciens chefs assistants en résidence de l’Orchestre symphonique de Québec. Il se retrouvait à la tête d’une formation – en prudente distanciation - de 49 instrumentistes en très grande forme. Quelque peu clairsemée, la section des premiers violons avait parfois du mal à soutenir les spectaculaires et haletants crescendos dont Rossini avait le secret.
Au programme figuraient quatre grands airs avec Marie-Nicole Lemieux, un avec Julie Boulianne et trois duos. Usant de sa spontanéité et de sa fantaisie légendaires, Marie-Nicole Lemieux prend possession de la scène et maintient sous le charme les musiciens et les musiciennes, tout comme le public. Plus délicate, Julie Boulianne fait preuve de grâce et de sensibilité lorsqu’elle chante en soliste.
Le concert a commencé par un extrait de Tancredi le premier opéra dramatique de Rossini, composé par celui-ci à l’âge de 20 ans. Dans le généreux récitatif accompagné « O patria », Marie-Nicole Lemieux exprime les tourments du chevalier Tancredi, tandis que l’air « Di tanti palpiti » met en valeur sa généreuse étendue vocale, son legato et la légèreté des brillantes colorature de sa conclusion.
Comme dans Tancredi, l’air « Mura felici » (murailles heureuses ou erre ma bien-aimée) de La Donna del Lago met en scène un personnage masculin (Malcolm), confié à une mezzo-soprano ou à une contralto, couronnant ainsi la douce revanche des voix féminines sur celles des castrats. Malgré quelques notes graves un peu forcées mais toujours impressionnantes, Marie-Nicole Lemieux aborde avec aplomb la tessiture exigeante et les acrobaties vocales de cette cavatine.
Dans L’Italiana in Algeri, la cavatine « Per lui che adoro » permet à la contralto de mettre vocalement en valeur la ruse, l’humour et la coquetterie d’Isabella, prisonnière du bey d’Alger. Un autre air de l’acte I, Cruda sorte (sort cruel), évoque le naufrage à la suite duquel Isabella allait être faite prisonnière. C’était l’occasion rêvée pour Marie-Nicole Lemieux de jouer sur les contrastes entre l’inquiétude du personnage et sa détermination à user de ses charmes pour dompter les hommes, ce qu’elle fit en esquissant quelques pas de danse, à la plus grande joie du public.
Pour son unique apparition en solo, Julie Boulianne avait choisi le rondo final de La Cenerentola, incarnant la frêle et douce Angelina, un rôle qui semblait fait sur mesure pour elle : sa voix de velours est à la fois expressive et subtile dans ses nuances, et elle triomphe avec autorité des abondantes colorature de cet air qui, normalement, est avec chœur.
Seul Rossini, qui a privilégié les voix féminines graves dans un domaine où régnaient les sopranos, pouvait donner aux deux cantatrices l’occasion de combiner leurs voix et de briller par leurs colorature époustouflantes. Elles avaient choisi le duo Malcolm-Elena du premier acte de La Donna del Lago, qui comprend un récit dialogué dans lequel les deux voix s’équilibraient à la perfection. Ensuite, comme le faisaient autrefois les trois ténors, elles se sont partagé l’air de Rosina d’Il Barbiere di Siviglia, « Una voce poco fa ». Marie-Nicole Lemieux s’empare triomphalement de l’introduction et voit arriver Julie Boulianne qui revendique sa place. Phrase après phrase, les deux complices rivalisent amicalement, avec humour et de façon impeccable, suscitant un véritable délire dans la salle.
Pour finir, il était facile de deviner que la pièce surprise inscrite au programme serait une version hilarante du Duetto buffo di due gatti, le célébrissime Duo humoristique des deux chats. C’était la dose de bonne humeur dont nous avions besoin pour mettre du piquant dans un été désorganisé.
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Marie-Nicole Lemieux et Julie Boulianne dans un programme tout Rossini !
19 août 2020
Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre, Québec
INT : Marie Nicole Lemieux, contralto ; Julie Boulianne, mezzo-soprano
DM : Nicolas Ellis
ORC : Orchestre symphonique de Québec
- Production