Critiques

CRTIQUE- Atelier d'opéra de l'Université de Montréal- Les Indes galantes ou la dénaturation des Occidentaux

CRTIQUE- Atelier d'opéra de l'Université de Montréal- Les Indes galantes ou la dénaturation des Occidentaux

Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau
Atelier d'Opéra de l'Université de Montréal, 2019
Photographie : Julien Perron-Gagné

Premier des six opéra-ballets de Jean-Philippe Rameau, Les Indes galantes (1735) demeure encore aujourd’hui l’œuvre la plus représentée du compositeur. Cet opéra est d’ailleurs sans aucun doute l’un des plus connus de l’époque baroque française.

Portant bien son nom, l’œuvre dépeint en quelques entrées (terme utilisé à l’époque qui s’apparente aux tableaux des opéras romantiques) les nations présentant une identité étrangère à la culture européenne. Après un long prologue, la première entrée expose une tragique scène d’amour se déroulant chez les turcs. Le paysage change ensuite et se réincarne au sein de la fête du Soleil chez les Incas du Pérou, où le chantage amoureux bat son plein. Par la suite, une scène montrant deux amis discutant de leurs sentiments amoureux pour leur douce respective révèle les beautés persanes. Pour conclure l'opéra, la quatrième entrée se déroule dans une forêt d’Amérique où deux colonisateurs tentent de gagner le cœur d’une Amérindienne. Celle-ci scelle toutefois son union avec le chef des guerriers de son propre peuple. Ainsi, l’œuvre caractérise l’amour et ses différences à travers de multiples contrées.

Dans cette production, l’Atelier d’opéra et l’Atelier de musique baroque de l’Université de Montréal ne présentent que quelques extraits de l’œuvre, coupant ainsi l’entièreté de l’entrée « Les fleurs, fête persane » et n’exposant que de manière très parcellaire l’entrée du « Turc généreux ». Dans un mot écrit par la metteure en scène Marie-Nathalie Lacoursière, celle-ci explique que la différenciation entre chaque entrée de l’opéra-ballet permet une grande souplesse dans l’interprétation de l’œuvre, le fil conducteur pouvant être modifié sans conséquence. C’est ainsi qu’elle s’est permise, avec le directeur artistique Robin Wheeler et le chef Luc Beauséjour, de couper et de remanier l’œuvre pour en ressortir les faits les plus saillants.

Le discours transmis par cette mise en scène n’en demeure pas moins très intéressant, puisque Marie-Nathalie Lacoursière a certainement redéfini le terme des Indes Galantes. Tentant d’actualiser le discours de l’œuvre, les artistes se présentent sur scène avec leur téléphones intelligents, s’amusant à plusieurs reprises à prendre des égo-portraits devant l’image de monuments où avec les personnages des nations désignées. Très réaliste dans la vision que l’on se fait du tourisme à outrance et sans limite du XXIe siècle, où le respect d’un peuple, d’une œuvre ou d’un paysage ne vaut certainement pas plus que le besoin insurpassable d’obtenir le meilleur « selfie ».

Les décors étaient certes, plus ou moins élaborés : la scène étant pourvue de trois tentes pour campeurs, et quelques panneaux décoratifs. Les chanteurs et choristes étaient attriqués de vêtements urbains ou sportifs pour correspondre à l’image projetée par le paysage scénique. Seuls quelques accessoires et bouts de tissus permettaient de différencier les personnages les plus importants de l’histoire, tels la princesse péruvienne, le prêtre du Soleil ou les Indiens. Ce qui est toutefois incroyable avec la production baroque que la Faculté de musique présente à chaque automne, c’est que malgré les faibles moyens financiers obtenus dans l’édification d’une œuvre, sa représentation n’en oblige pas moins un produit final médiocre ou plus faible.

Force est de constater que l’Université de Montréal a plusieurs beaux talents lyriques en éclosion. Alors que la plupart des artistes ont offert de belles prestations, certains talents ont su se démarquer avec brio. C’est notamment le cas de Juliette Tacchino. Sa voix époustouflante, à la fois douce, brillante mais pleine de profondeur a largement convaincu le public, notamment dans son rôle de la princesse péruvienne. Et que dire de son partenaire le grand prêtre du Soleil, David Turcotte ! Il a l’une de ces voix des plus matures et limpides et détient une force vibrante sans fin. Ces deux artistes ont, sans aucun doute, un avenir lyrique prometteur.  Bravo aussi à la nouvelle recrue Martin Davout qui a livré une prestation franche et sans faille aux côtés d’Élise Guignard, qui elle, possède une voix pure au timbre cristallin. Le ténor Philippe Gagné est aussi venu prêter main forte aux résidents et résidentes de l'Atelier, ce qui a relevé le niveau de la prestation et du jeu dramatique.

Le chœur a livré une performance juste et forte, manquant seulement à quelques reprises de coordination avec l’orchestre. Le jeu orchestral étant d’ailleurs nettement plus au point que l’année précédente : il faut mentionner que les jeunes musiciens ont la chance d’avoir été accompagnés de plusieurs musiciens d'Arion, orchestre baroque !

C’est donc avec plusieurs belles surprises que nous avons pu écouter, voir, découvrir ou redécouvrir les Indes galantes.

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Les Indes Galantes (extraits), opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau sur un livret de Louis Fuzelier

Production : Atelier lyrique de l’Université de Montréal
Salle Claude-Champagn Faculté de musique, Université de Montréal  

INT : Juliette Tacchino (princesse péruvienne), David Turcotte (Huascar), Philippe Gagné (Don Carlos et Damon), Martin Davout (Adario), Élise Guignard (Zima), Ricardo Galindo (Don Alvar), Léa Buijtenhuijis, Maud Lewen, et Mélissa Zerbib.
DM : Luc Beauséjour
ORC : L’Atelier de musique baroque de l’Université de Montréal
MES : Marie-Nathalie Lacoursière 

Production
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