TÊTE D’AFFICHE - VÉRONIQUE GENS

La mélodie avec orchestre a une histoire toute particulière dans la France des XIXe et XXe siècles : elle est partie intégrante d’une lutte érigée contre la vague culturelle germanique qui prend d’assaut le pays, surtout à travers l’œuvre de Wagner, et qui intensifie un sentiment nationaliste d’autodétermination et d’autosuffisance. Si, dans son célèbre essai Le Coq et l’Arlequin : Notes autour de la musique (1918), Jean Cocteau critique la « brume Wagner » en parlant de la musique d’opéra démesurément complexe du compositeur, Camille Saint-Saëns écrivait déjà à la pianiste Marie Jaëll, en 1876 : « Si vous avez envie de l’orchestre pour vos lied [mélodies] ne vous gênez pas, le lied avec orchestre est une nécessité sociale ; s’il y en avait, on ne chanterait pas toujours dans les concerts des airs d’opéra qui y font souvent piteuse figure » (repéré dans Bru Zane Mediabase, « La mélodie avec orchestre »). C’est donc en comparaison, et même en contrepoids des airs lyriques allemands, que la mélodie française prend son essor au tournant du siècle.
Aujourd’hui, la mélodie française avec orchestre est quasiment oubliée : on l’entend plus souvent accompagnée par une réduction au piano. C’est entre autres pour remédier à la faible présence de ce genre musical unique sur la scène internationale que Véronique Gens collabore avec le Palazetto Bru Zane – Centre de musique romantique française depuis une dizaine d’années. Au cours de sa carrière, la célèbre soprano a acquis une solide réputation pour ses rôles mozartiens, sa présence sur la scène baroque et son interprétation de la tragédie lyrique, mais aussi pour sa contribution au renouveau de la mélodie française. L’un des produits de cet effort se trouve à être le disque Paysages labellisé par Alpha Classics en 2024, qui rassemble notamment des pièces de Théodore Dubois, Gabriel Fauré et Jules Massenet, dont la soprano vient présenter des extraits en novembre, pour sa première visite en tant qu’artiste lyrique dans la métropole montréalaise.
Bien que la mélodie avec orchestre se rapproche de l’opéra en raison du texte chanté accompagné par un grand ensemble, elle demande aux artistes lyriques qui s’y prêtent une focalisation très différente, soit de porter attention au texte avant tout. Si, à l’opéra, on cherche à mettre en valeur les capacités vocales, comme la projection et les vocalises, la mélodie avec orchestre demande une expressivité et une diction centrées sur la poésie et la narrativité de la musique. Il n’y a pas de grandes envolées lyriques, mais plutôt du travail de détail, d’une phrase à l’autre. Véronique Gens précise que l’orchestre sert véritablement à accompagner le chant lyrique dans la mélodie, et non à le couvrir : « On est là pour raconter des histoires, soit celles des poètes français qui ont écrit des textes sublimes, et notre devoir est de les faire comprendre ».
La soprano apprécie particulièrement chanter ce genre de pièce lorsqu’elle est accompagnée d’un orchestre, comme les couleurs et les motifs sont plus distinctifs et nuancés et que la masse sonore sur laquelle elle peut s’appuyer est plus confortable (n’en déplaise aux pianistes !). « C’est très étonnant d’entendre toutes les couleurs et instruments de l’orchestre là où, d’habitude, je n’entends que des accords au piano… Un solo de cor français ou de hautbois, c’est magnifique et enveloppant, et ça fait toute la différence », ajoute-t-elle. Au sein du programme prévu avec l’OSM, elle avoue avoir un faible pour « Les Roses d’Ispahan », un poème de Leconte de Lisle mis en musique par Gabriel Fauré, dont les couleurs et les motifs d’inspiration orientale constituent selon elle une véritable « invitation au voyage ».
C’est donc à un voyage musical que nous convie Véronique Gens pour sa première apparition à la Maison symphonique de Montréal, aux côtés de la cheffe d’orchestre Lucie Leguay et des interprètes de l’Orchestre symphonique de Montréal, les 12 et 13 novembre. Les billets sont en vente ici. Elle profitera aussi de sa présence en ville pour offrir une classe de maître au Conservatoire de musique de Montréal le 14 novembre.
Photographie : Jean-Baptiste Millot