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À DÉCOUVRIR - Création mondiale de l’opéra Hiroshima mon amour au Festival TransAmériques

À DÉCOUVRIR - Création mondiale de l’opéra Hiroshima mon amour au Festival TransAmériques

Le 27 mai prochain, le public montréalais aura la chance d’assister à un phénomène plutôt rare, soit la création mondiale d’un nouvel opéra en français. Hiroshima mon amour, adaptation lyrique du film du même titre réalisé par Alain Resnais sur un scénario de Marguerite Duras en 1959, est une proposition de la compositrice australienne Rósa Lind et de l’homme de théâtre québécois Christian Lapointe, qui en signe le livret. Cette œuvre résulte de leur collaboration avec le Quatuor Bozzini et la compagnie de création lyrique Chants Libres.

La rareté du phénomène découle non seulement du fait même d’une nouvelle création lyrique en français, mais aussi de ce que celle-ci permet de faire éclore artistiquement. Du propre aveu de Christian Lapointe – avec qui L’Opéra s’est entretenu –, lorsque Rósa Lind lui a proposé cette adaptation, celui-ci était convaincu qu’il s’agissait d’une trop bonne idée pour qu’elle n’ait pas déjà été réalisée. Eh bien non. Mais alors, il serait assurément impossible d’obtenir les droits ? Non plus. Les artistes ont donc eu le champ (le chant ?) libre pour faire advenir cet opéra qui était déjà en dormance dans le film, selon les dires de Duras elle-même dans l’introduction du scénario publié – et cités par M. Lapointe en entrevue : « Leur premier propos sera donc allégorique. Ce sera, en somme, un propos d’opéra ».

M. Lapointe nous rappelle que cette allégorie se rapporte foncièrement à la question de la mémoire et de l’oubli : de la même façon que l’on est capables d’oublier un amour foudroyant que l’on pensait inoubliable, on a été capables d’oublier la tragédie d’Hiroshima. En ce sens, les œuvres de Duras sont porteuses d’une temporalité suspendue qui sied à merveille, selon le dramaturge, à la forme de l’opéra. Alors que le théâtre exige que la narration avance, les livrets d’opéra peuvent se permettre de faire du sur-place, comme la musique, elle, avance toujours. Celle-ci constitue par ailleurs un véhicule idéal pour les émotions durassiennes, et surtout celles de l’amour, que M. Lapointe considère « d’une densité indicible ». Cette indicibilité se situe au cœur du propos de l’œuvre : puisqu’il est impossible de parler d’Hiroshima, nous parlerons de l’impossibilité de parler d’Hiroshima.

Toujours selon M. Lapointe, la musique de Rósa Lind est particulièrement apte à transmettre la sensation de temps suspendu inhérente à l’écriture durassienne, à travers un travail très onirique. Son choix d’instrumentation présente une qualité cristalline, à travers la harpe, la clarinette, la flûte, le quatuor à cordes et les percussions. Ainsi, Lind parviendrait à insuffler à sa musique une esthétique proche de l’Orient, sans être orientaliste ou japonisante pour autant. Comme le rapport à l’altérité est au cœur d’Hiroshima mon amour, les créateur·trices ont également choisi de l’aborder à travers la distribution. Ainsi, aux côtés des interprètes lyriques Marie-Annick Béliveau et Ellen Wieser, le public pourra entendre le performeur vocal Yamato Brault-Hori, connu notamment comme meneur du groupe de musique de rue Yamato et la fin du monde. Le texte élaboré par Christian Lapointe vise quant à lui à dégager ce qu’il considère comme la colonne vertébrale du scénario de Duras : pour atteindre cette colonne, le dramaturge a dépouillé le texte original d’environ 80% de sa matière.

Soulignons pour conclure qu’outre Chants Libres, cette production est l’œuvre de créateur·trices qui n’avaient, jusqu’ici, jamais abordé l’opéra. Il s’agit dès lors d’une grande première, à bien des égards. Ce côté néophyte – qui se limite à l’opéra, entendons-nous – constitue assurément une force aux yeux de Christian Lapointe, permettant à l’équipe de création de revisiter certaines conventions du genre. Loin de lui l’idée de « dépoussiérer » l’opéra : le terme lui semble condescendant. Mais il y a très certainement là une possibilité de proposer autre chose : un opéra photo-roman – grâce au travail du cinéaste Karl Lemieux – qui pourrait bien ajouter une pierre supplémentaire à l’édifice de la production lyrique francophone.


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