TÊTE D’AFFICHE - Alain Gauthier
Photographie : Brent Calis
C’est à la suite d’un stage à l’Opéra de Montréal obtenu après avoir fait des études en théâtre à l’UQAM qu’Alain Gauthier a eu la piqûre pour la mise en scène. « J’ai toujours été intéressé par la mise en scène comme acteur, mais j’étais aussi un grand admirateur de musique classique et particulièrement d’opéra : la voix humaine m’a toujours séduit! », raconte le metteur en scène. Il a par la suite travaillé comme régisseur principal à l’Opéra de Montréal durant plusieurs années, ce qui lui a permis d’observer metteurs et metteuses en scène à l’œuvre, et ainsi d’apprendre par l’exemple.
C’est finalement grâce à un remplacement qu’Alain Gauthier a conçu sa toute première mise en scène pour le programme double Il Tabarro et Suor Angelica à l’Opéra de Montréal en 2006. Les contrats se sont par la suite accumulés, ce qui lui a permis de gagner en expérience, jusqu’à être en mesure de se consacrer à la mise en scène à temps plein. Il a depuis ajouté près d’une quarantaine d’opéras et de spectacles lyriques à son répertoire, et est bien connu du milieu lyrique québécois.
La mouture de La Traviata pour laquelle il a réalisé la mise en scène est des plus particulières : il s’agit d’une coproduction pancanadienne qui combine les efforts et ressources de cinq maisons d’opéra; l’Opéra de Montréal, le Manitoba Opera, le Edmonton Opera, le Vancouver Opera et le Pacific Opera de Victoria. « C’est un événement lyrique historique: c’est la première fois qu’autant de maisons d’opéra canadiennes collaborent sur une production », met de l’avant Gauthier. Les représentations à Montréal marqueront la fin du voyage de cette Traviata, qui a déjà été interprétée dans les autres villes impliquées dans sa conception.
Afin de situer sa mise en scène, Alain Gauthier a choisi comme période temporelle les Années folles et, pour personnage principal, la chanteuse, danseuse, écrivaine et activiste française Joséphine Baker. « Je voulais que l’on transpose cette histoire dans une époque plus près de nous, d’où le choix des années 1920 », explique Gauthier, qui souligne également que ces années sont caractérisées par les grandes fêtes, les bals, les paillettes et les plumes, ce qui fait parfaitement écho au divertissement que représente La Traviata, puis l’opéra en général. Quant à Joséphine Baker, elle évoque pour le metteur en scène la figure parfaite pour incarner Violetta à une époque plus actuelle en raison de sa force de caractère et de son grand charisme. « Tout le monde va y trouver son compte : ceux qui s’attendent des scènes flamboyantes et à des costumes luxueux, ou à une grande dramaturgie qui se dégage de la forte personnalité du personnage principal qui souhaite s’affranchir et vivre l’amour comme elle l’entend », précise Alain Gauthier.
Amoureux de Verdi, le metteur en scène se dit choyé d’avoir pu ajouter une œuvre aussi célèbre et appréciée que La Traviata à son catalogue. « C’est le genre d’opéra qui revient souvent au programme des grandes compagnies, c’est donc pratique de l’avoir dans son répertoire », précise-t-il. Celui qui aimait déjà l’œuvre avant de la mettre en scène avait d’ailleurs déjà traduit ses surtitres à l’Opéra de Montréal. « Je connais donc le livret à l’endroit, et à l’envers », ajoute Gauthier en riant.
Du côté spécifiquement du processus de création, le metteur en scène s’estime chanceux d’avoir rencontré lors de cette coproduction des artisans et artisanes de grand talent du milieu lyrique canadien. Il souligne à ce propos sa collaboration fructueuse avec le concepteur d’éclairage Kevin Lamotte et la scénographe Christina Poddubiuk, dont le souci du détail a permis de créer ce qu’il qualifie d’« un tableau vivant et naturel » sur scène. C’est ensemble qu’ils ont réussi à aborder les contraintes de la coproduction, par exemple, être en mesure de créer une scénographie et une mise en scène qui s’adapte aux théâtres des cinq compagnies lyriques. « À Victoria, le théâtre où est présenté l’opéra est très vieux et il n’y a pas de coulisses. On a donc dû opter pour un décor transformable, ce qui demande une certaine ingénierie », explique-t-il.
Questionné à propos de ce qui guide sa démarche artistique, Alain Gauthier soutient que c’est le livret et la musique qui fournissent selon lui le plus d’informations utiles pour la mise en scène. Il donne comme exemple le personnage du Baron Douphol, qu’il qualifie de rigide et peu observateur : « J’ai proposé qu’on lui couvre un œil pour rendre tangible ce manque d’observation. Les gens se moquent de lui, et il ne comprend pas! Ça lui donne un côté bizarre, et ça vient chercher le cliché du méchant avec la patch sur l’œil… même s’il est en smoking! ».
Afin de s’assurer que l’ensemble des artistes qui participent à la production incarne bien son rôle, Alain Gauthier a même créé pour chaque membre du chœur un personnage avec sa propre histoire et biographie. Certains personnages ont réellement existé, alors que d’autres non. « Ça donne une vie sur scène », précise le metteur en scène, en plus de spécifier que cela permet d’insuffler aux choristes une plus grande intention dramaturgique. Chaque représentation est en ce sens un peu différente, puisque les artistes sur scène ont une agentivité qui leur est propre. Après cette dernière représentation de La Traviata, Alain Gauthier pourra s’attaquer à un projet qui lui est cher : la mise en scène d’Hamlet d’Ambroise Thomas, qui sera présenté à l’Opéra de Montréal en novembre prochain. « J’ai une liste sur mon téléphone des dix opéras que j’aimerais le plus mettre en scène, et Hamlet en fait partie! », avance Alain Gauthier, enthousiaste. C’est donc un autre rendez-vous avec Alain Gauthier en automne prochain, pour la production de cet opéra qui n’a été présenté qu’une seule fois au Québec en version complète depuis sa création parisienne au XIXe siècle.