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DOSSIER - Festival de Glyndebourne - Une grande aventure familiale et une présence québécoise exceptionnelle

DOSSIER - Festival de Glyndebourne - Une grande aventure familiale et une présence québécoise exceptionnelle

Ce dossier a été publié dans le numéro 30 (Automne 2022) dans la version imprimée de la Revue québécoise d'art lyrique aux pages 36 à 41.
Une traduction anglaise est accessible sur le présent site en cliquant ici.

LE FESTIVAL DE GLYNDEBOURNE SE TIENT EN ANGLETERRE DEPUIS 1934 À L’INSTIGATION D’AUDREY MILDMAY ET DE JOHN CHRISTIE. INTERROMPU SEULEMENT À DEUX REPRISES, D’ABORD DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE PUIS LORS DE LA PANDÉMIE DE COVID-19, CE RENDEZ-VOUS ESTIVAL JOUIT AUJOURD’HUI D’UNE RÉPUTATION INTERNATIONALE. PLUSIEURS INTERPRÈTES DU QUÉBEC ONT PARTICIPÉ À SA RENOMMÉE, UNE TENDANCE DURABLE À EN JUGER PAR LES DERNIÈRES ÉDITIONS DE L’ÉVÉNEMENT.  

Les personnes passionnées d’opéra ont souvent des rêves à réaliser. Cela peut être d’entendre leur artiste lyrique de prédilection sur scène et au pupitre, qu’il s’agisse d’un artiste comme Jonas Kauffman ou Anna Netrebko, ou encore, plus près de nous, de Marie-Nicole Lemieux ou Yannick Nézet-Séguin. Une autre forme que peuvent prendre ces rêves est d’assister à une production dans un amphithéâtre lyrique réputé à Milan, New York, Paris ou Vienne, ou bien de prendre part à l’un des prestigieux festivals lyriques comme ceux d’Aix-en-Provence, Bayreuth, Bregenz, Orange, Santa Fe ou Vérone. 

Pour l’auteur des présentes lignes, quelques rêves se sont concrétisés, mais un autre était à réaliser : celui d’être présent au Festival de Glyndebourne. Étudiant à Cambridge à la fin des années 1970, je rêvais de faire la distance entre la grande ville universitaire et les grounds du Festival situé dans l’East Sussex, dans le sud de l’Angleterre, à un peu plus de 100 kilo- mètres de Londres. Les moyens dont je disposais à l’époque ne rendaient pas possible une telle aventure lyrique et je n’ai pas le souvenir qu’il existait alors, comme c’est le cas aujourd’hui, des programmes destinés aux jeunes qui m’auraient permis de me rendre à Glyndebourne... sans m’inquiéter de ma capacité à payer d’onéreux frais de scolarité édictés par le gouvernement de Margaret Thatcher ! 

Quelque 40 ans plus tard, en juin 2022 plus précisément, j’ai enfin pu vivre l’expérience Glyndebourne et même joindre l’utile à l’agréable. L’utile aura été de préparer le présent dossier et de partager cette expérience avec les lecteurs et lectrices de L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique, en plus d’assister à trois productions de l’édition 2022 du Festival. L’agréable aura été de le faire en compagnie d’opéraphiles, mon ancien étudiant et professeur de droit William Schabas et mon amie, sa conjointe, Penelope Soteriou, mais aussi – et quelle belle sur- prise ce fut – d’y faire la rencontre d’un autre Québécois, épris de musique et d’opéra, l’ancien directeur général du Festival de Lanaudière François Bédard et son épouse Françoise Michaud. 

La rédaction du présent dossier aura été facilitée par un soutien exemplaire de l’équipe du Festival, en particulier celui de Kate Harvey, une attachée de presse d’exception. Celle-ci m’a permis de réaliser des entrevues avec l’Executive Chairman – le grand patron du Festival – Gus Christie, le directeur artistique Stephen Langridge, l’administratrice générale Sarah Hopwood ainsi que le directeur technique, le Franco-Manitobain et Québécois d’adoption, Éric Gautron, que vous connaîtrez davantage en lisant ce dossier. Avec l’aide remarquable de l’archiviste Philip Boot, et pour documenter avec rigueur la présence québécoise à Glyndebourne – notamment celle de mon oncle André Turp –, j’ai également pu effectuer des recherches dans les archives matérielles du Festival – fort bien cataloguées et tenues – qui ont été complétées par la navigation sur l’incomparable base de données Opera Archive accessible sur le site web du Festival. 

L’expérience du Festival de Glyndebourne m’a permis de constater que cette aventure est d’abord familiale, et c’est sur cet aspect que je m’attarderai principalement. Je livrerai ensuite le résultat de mes recherches sur l’exceptionnelle présence québécoise au Festival. 

UNE GRANDE AVENTURE FAMILIALE 

Si l’on veut rendre justice à l’histoire et aux deux personnes qui sont à l’origine de la fondation du Festival de Glyndebourne, on peut affirmer sans risque de se tromper que le Festival est – et demeure toujours – une grande aventure familiale. Né d’une histoire d’amour, d’un amour de l’opéra certes, mais aussi de l’amour que se vouaient la soprano Audrey Mildmay et l’éducateur, propriétaire foncier et homme d’affaires John Christie, le Festival aura été dirigé par trois générations de Christie, le fils George et le petit-fils Gus ayant respectivement pris la relève de leur père et grand-père. 

C’est en 1931 que le couple Christie-Mildmay projette la création d’un festival d’opéra et la construction d’un amphi- théâtre qui accueillerait ses productions estivales. Leur ambition était grande, comme en fait foi l’énoncé de l’objectif qui est fixé pour l’événement en devenir. La norme d’excellence qu’on entend appliquer à la vie du Festival est formulée en ces termes : « Non seulement voulons-nous le meilleur de ce que nous pouvons faire, mais nous visons le meilleur qui puisse être fait n’importe où. » 

Bustes d'Audrey Mildmay (1900-1953) et John Christie (1882-1962),
sur le site du Festival de Glyndebourne
Photographies : Daniel Turp

Trois ans plus tard, en 1934, le projet se matérialise et la première saison du Festival met à l’honneur Mozart par la présentation des opéras Le Nozze di Figaro et Così fan tutte, sous la direction musicale du chef Fritz Busch et la direction artistique de Carl Ebert. Ayant fui l’Allemagne nazie, ces deux artistes accompagnent l’équipe du Festival dès le début de l’aventure Glyndebourne. Cette équipe est complétée en 1936 avec la nomination, à titre de directeur général, de l’Autrichien Rudolf Bing, celui-ci s’étant aussi réfugié au Royaume-Uni après avoir occupé des fonctions administratives à l’Opéra municipal de Berlin et à l’Opéra de Darmstadt. 

La notoriété du Festival s’accroît rapidement avec les premières radiodiffusions de ses productions en 1938, ainsi qu’avec le « Glyndebourne Festival Wartime Tour 1940 » au cours duquel on interprétera The Beggar’s Opera de John Gay au Théâtre Royal de Brighton. Mais l’intensification de la Seconde Guerre mondiale entraîne la suspension de l’événement estival de 1941 à 1946. 

AU LENDEMAIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE 

La reprise des activités en 1946 donne lieu à une première création dans l’histoire de Glyndebourne avec la présentation de l’opéra The Rape of Lucretia de Benjamin Britten, suivie l’année suivante de la première mondiale d’Albert Herring du même compositeur. Les années subséquentes sont caractérisées par une programmation où dominent les opéras de Mozart, y compris la première présentation professionnelle en Angleterre d’Idomeneo en 1950. Les saisons font aussi dorénavant place aux œuvres du grand répertoire lyrique du XIXe siècle, principalement de Giuseppe Verdi et Gioachino Rossini, mais également aux opéras composés au XXe siècle, qu’il s’agisse du Rake’s Progress d’Igor Stravinski en 1953 ou de l’Arlecchino de Ferruccio Busoni en 1954. 

Les années d’après-guerre donnent lieu à un changement significatif dans le mode de financement du Festival. Soutenu d’abord exclusivement par les deniers personnels de John Christie, le Festival lance un appel à des comman- ditaires et mécènes pour financer les productions dont les coûts augmentent de façon importante d’année en année. Cet appel est entendu et des sommes considérables sont recueillies. Aujourd’hui encore, le financement du Festival de Glyndebourne provient essentiellement du mécénat privé et corporatif, le Festival ne recevant aucune subvention publique, si ce n’est l’aide consentie par l’Arts Council England pour sa tournée annuelle. 

UN NOUVEL AMPHITHÉÂTRE POUR GLYNDEBOURNE

Si la décennie des années 1960 débute avec la première participation du Festival aux BBC Proms, elle est marquée par le décès du fondateur en 1962 et la prise en charge du Festival par son fils George Christie. Sous le leadership de ce dernier qui s’étendra sur quatre décennies, le Festival prendra une réelle expansion avec la mise sur pied en 1968 du Glyndebourne Touring Opera. Naîtra en 1980 un programme éducatif qui débutera avec des school projects et se déclinera – comme c’est toujours le cas aujourd’hui – en des youth operas, dont l’opéra Misper de John Lunn qui a été commandé par le Festival et présenté en 1997, mais également des community operas et des community projects

C’est aussi durant le mandat de George Christie que le Festival se dotera d’un nouvel amphithéâtre qui augmentera de façon importante sa capacité d’accueil, la nouvelle jauge pouvant dorénavant recevoir 1 200 opéraphiles. De plus, le Festival commandera de nouvelles œuvres et l’on assistera aux créations mondiales des opéras The Rising of the Moon de Nicholas Maw, The Electrification of the Soviet Union de Nigel Osborne et de The Second Mrs Kong de Harrison Birtwistle. Le Festival étendra ses activités hors du Royaume-Uni en présentant The Rake’s Progress au Théâtre des Champs-Élysées à Paris en 1980 et en prenant part six ans plus tard au Festival de Hong Kong. 

En 1999, George Christie décide de passer le flambeau à son fils Gus. Celui-ci hérite dès lors de la responsabilité de poursuivre et consolider l’œuvre de son grand-père et de son père. Il s’engage à maintenir la tradition « Glyndebourne » tout en répondant aux besoins d’innovation et de modernisation du Festival. 

VERS LA MODERNISATION DU FESTIVAL 

Parmi les innovations qui ont marqué à ce jour le mandat de Gus Christie, on peut mentionner la présentation des premiers opéras de Richard Wagner. La production en 2003 de Tristan und Isolde, avec Nina Stemme et René Pape, reprise en 2021 – dans une version de concert, pandémie oblige –, s’est avérée l’un des grands moments lyriques de la compagnie. De même, la production en 2011 de l’opéra Die Meistersinger von Nürnberg dans la mise en scène de l’Écossais David McVicar a confirmé la capacité du Festival à offrir une alternative à Bayreuth pour ce qui est du répertoire wagnérien. 

En 2008, le Festival a également innové en créant son propre label d’enregistrement. The Glyndebourne Label s’appuie sur des enregistrements d’archives et un même opéra fait l’objet d’un album double, rassemblant un enregistrement effectué dans l’amphithéâtre d’origine et un autre réalisé dans le nouvel amphithéâtre inauguré en 1994. L’innovation prend aussi la forme d’un virage numérique d’importance qui se traduit par la présentation durant l’été 2020 d’un Digital Festival qui a permis de rejoindre un public en dépit de la suspension du Festival habituel. Ce virage culmine avec le lancement en 2021 de la plateforme de diffusion Glyndebourne Encore, dont est particulièrement fière la directrice administrative, Sarah Hopwood, en raison du fait que cette plateforme a rendu pos- sible le maintien d’un lien constant avec les membres pendant la pandémie, tout en assurant au Festival un rayonnement international sans précédent. Elle prolongera dorénavant la vie des productions de Glyndebourne en faisant en sorte que celles-ci puissent être vues par les membres, mais également par le public opéraphile du monde entier. 

Si la grande aventure familiale du Festival de Glyndebourne est celle de John, George et Gus Christie, on peut ajouter que ces derniers ont élargi leur famille en accueillant des directeurs musicaux, artistiques et généraux de grand renom. De Rudolf Bing à Bernard Haitink, en passant par Andrew Davis et Sarah Hopwood – seule femme à avoir occupé à ce jour de hautes fonctions à Glyndebourne –, la compagnie se présente comme une grande famille. Elle est aujourd’hui entre les mains d’un directeur artistique, Stephen Langridge, qui a déjà donné un souffle nouveau au Festival avec la présentation en 2022 de l’opéra The Wreckers de la compositrice Ethel Smyth en faisant appel à la version originale du livret en langue française. Un nouvel administrateur général, Richard Davidson-Houston, entrera aussi en fonction à l’automne 2022. 

Cette grande famille a rassemblé au cours des années de prestigieux metteurs en scène, tels Franco Zeffirelli, Peter Sellars, Robert Carsen, ainsi que des interprètes qui ont marqué la scène lyrique mondiale, qu’il s’agisse de Luciano Pavarotti, Janet Baker, Renée Fleming et Gerald Finley ou d’artistes lyriques de nouvelles générations comme Juan Diego Flórez, Danielle de Niese, Isabel Leonard et Allan Clayton, une famille dont ont fait également partie plusieurs artistiques lyriques du Québec. 

UNE PRÉSENCE QUÉBÉCOISE EXCEPTIONNELLE 

En rédigeant depuis 2010 la section « Nos artistes sur la route » maintenant accessible dans le Bulletin québécois d’art lyrique, j’ai constaté une présence régulière des artistes québécois au Festival de Glyndebourne. Ma curiosité de musicologue et de chercheur m’a ainsi amené à vouloir explorer davantage la question afin de voir si cette présence québécoise était un nouveau phénomène ou si les généra- tions précédentes de nos chanteurs et chanteuses avaient aussi pris place dans les distributions des productions du Festival depuis sa création en 1934. 

Une autre agréable découverte m’attendait. Les archives du Festival m’ont permis de constater que les artistes lyriques du Québec y ont occupé une place de choix durant plusieurs décennies, comme en fait foi le tableau en encadré. 

  Le grand ténor québécois Léopold Simoneau est celui qui a ouvert le bal en 1951 en tenant le rôle d’Idamante dans l’opéra Idomeneo de Mozart, mais également celui de Don Ottavio dans le Don Giovanni du même compositeur. Les premières presta- tions de Léopold Simoneau ne sont pas passées inaperçues. Quelques années plus tard, dans l’ouvrage Glyndebourne – A Visual History, George Christie a commenté la performance du chanteur ainsi que celle des autres membres des prestigieuses distributions d’Idomeneo et de Don Giovanni en des termes fort élogieux : 

1951 saw the first professional production of Mozart’s Idomeneo in Britain, with Busch, Ebert and Messel and Jurinac singing the most sublime Ilia I have ever heard or am likely to hear, Birgit Nilsson (Electra) giving her only performances with the Glyndebourne company, Richard Lemis (Idomeneo) guaranteeing much of his future career at Glyndebourne, and Léopold Simoneau (Idamante), in my view the finest Mozart tenor other than Fritz Wunderlich. Simoneau also sang Don Giovanni that year. The applause at the end of « Il mio tesoro » was always prolonged.

La soprano et épouse de Léopold Simoneau Pierrette Alarie prend également part à la distribution de Don Giovanni en 1951 dans le rôle de Zerlina, alors que cette production est présentée en Écosse dans le cadre du Festival d’Édimbourg. Le talent de Léopold Simoneau lui vaudra d’être réinvité aux Festivals de 1952 et 1954, à l’occasion desquels il reprendra les rôles d’Idamante et de Don Ottavio. 

Lors de l’édition de 1957 du Festival, le ténor Roger Doucet, qui se fera connaître plus tard comme l’interprète des hymnes nationaux lors des matchs de hockey, de football et de baseball à Montréal, tiendra le rôle du jeune noble dans Le Comte Ory de Rossini. Durant les années 1960 et 1970, le Festival invitera cinq autres chanteurs et chanteuses du Québec à prendre part à ses productions. 

Je ne suis pas peu fier d’écrire que mon oncle, le ténor André Turp, sera associé à la création mondiale en 1961 de l’opéra Elegy for Young Lovers de Hans Werner Henze, en y tenant le rôle de Toni Reischmann. Une lecture des divers articles publiés dans les journaux britanniques permet de constater que la performance de celui-ci – ainsi que celle de ses collègues – a été bien reçue. Le critique du New Statesman affirmait dans un article publié le 11 août 1961 que « [i]Elegy for Young Lovers is to return to the Glyndebourne repertory, there is already a basis for a fine production in the singing of Elisabeth Söderström and André Turp as the young lovers ». 

Deux ans plus tard, en 1963, le Québécois Pierre Duval incarne le ténor italien dans l’opéra Capriccio de Richard Strauss. La soprano Louise Lebrun s’y manifestera à deux reprises en 1970, jouant l’Il Destino dans La Calisto de Francisco Cavalli et la Reine de la nuit dans Die Zauberflöte de Mozart. En 1976, le ténor André Jobin se voit confier le co-rôle-titre de l’opéra Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Et en toute fin de décennie, ce sera au tour de la grande basse Joseph Rouleau de déployer son talent à Glyndebourne en donnant vie au personnage de Vanuzzi dans l’opéra Die Schweigsame Frau (La Femme silencieuse) de Richard Strauss. 

Les années 1980 et 1990 sont cependant des décennies de disette pour le Québec et ses artistes lyriques à Glyndebourne. Un seul chanteur, le contre-ténor Daniel Taylor, foulera les planches du Festival en y interprétant en 1997 le rôle de Didymus dans l’opéra Theodora de Haendel. 

UNE PRÉSENCE ACCRUE AU XXISIÈCLE 

Le XXIe siècle, et particulièrement sa deuxième décennie, donnera lieu à une présence régulière d’un ou plusieurs artistes lyriques du Québec lors des éditions du Festival, et plusieurs d’entre eux ont fait plus d’une visite. Chanteront ainsi à deux reprises la soprano Karina Gauvin (2014, 2018), le baryton Étienne Dupuis (2015), de même que les mezzo-sopranos Rihab Chaieb (2015, 2017) et Julie Boulianne (2019, 2021). 

Quelques artistes feront des apparitions uniques : la contralto Marie- Nicole Lemieux en 2009, le ténor Pascal Charbonneau en 2010, le baryton- basse Philippe Sly en 2016 et la mezzo-soprano Michèle Losier en 2017. Dans la mise en scène de Renaud Doucet et une conception des décors et costumes d’André Barbe, la production de Die Zauberflöte de Mozart est fort bien reçue par le public de Glynderbourne et notamment par le critique musical du journal The Guardian Eric Jeal qui, dans un article du 19 juillet 2019, a dit de l’événement qu’il était un « visual feast of eccentricity ». 

Julie Boulianne (Dorabella)
Cosi Fan tutte (Wolfgang Amadeus Mozart)
Festival de Glyndebourne, 2021
Photographie : Tristram Kenton © Glyndebourne Productions Ltd.

Sans avoir fait une recherche analogue pour les autres grands fes- tivals d’opéra de la planète, qu’il s’agisse de ceux d’Aix-en-Provence, de Bayreuth, des Chorégies d’Orange, de Salzbourg, de Wexford en Europe ou de Glimmerglass et Santa Fe aux États-Unis, il est possible d’affirmer que c’est à Glyndebourne que les artistes lyriques du Québec se sont retrouvés à ce jour en plus grand nombre. Il est à espérer que cette pré- sence se maintiendra, voire s’accroîtra dans les prochaines années. On sait d’ores et déjà que la soprano Florie Valiquette sera de la distribution des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc en 2023 et qu’elle y tiendra, comme elle devait le faire en 2020, le rôle de Sœur Constance. Plusieurs autres artistes du Québec pourraient également séduire le public de Glyndebourne, que ce soit par leurs voix, leurs mises en scène ou encore leur direction musicale. Et ainsi laisser, à l'instar de leurs compatriotes, une marque durable sur le Festival. 

UNE EXPÉRIENCE À RÉPÉTER 

Si j’ai retenu de mes divers entretiens que le Festival de Glyndebourne est – et demeure encore aujourd’hui – une grande aventure familiale, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un festival qui méritait sa réputation d’événement de classe mondiale. Ayant assisté à trois des six productions de l’édition 2022, en l’occurrence aux opéras Le Nozze di Figaro de Mozart, The Wreckers d’Ethel Smyth et La Bohème de Puccini, j’ai constaté que les normes d’excellence promues dès la création du Festival en 1934 continuaient d’être scrupuleusement respectées. Non seulement les solistes des trois productions étaient impeccables au plan vocal, mais leur jeu dramatique démontrait aussi cette volonté de faire de Glyndebourne un lieu où la théâtralité a toute son importance. Les membres de la distribution de l’opéra Le Nozze di Figaro, et en particulier Hera Hyesang Park dans le rôle de Susanna, l’ont admirablement démontré. Cette théâtralité doit beaucoup aux mises en scène, et celle de la nouvelle production de La Bohème par Floris Visser était fort réussie, comme l’était la conception des costumes et de ce décor unique se présentant comme une rue en pavés où régnait un clair-obscur si évocateur. Et si la devise à Glyndebourne n’est pas néces- sairement « prima la musica e poi le parole » (d’abord la musique, puis les paroles), l’excellence musicale était à nouveau au rendez-vous en 2022. En ont fait foi les prestations d’un orchestre considéré à juste titre comme l’un des meilleurs ensembles lyriques de la planète opéra, mais aussi la qualité des chœurs, particulièrement dans The Wreckers, sous la direction musicale d’une grande finesse du chef Robin Ticciati. 

Il me reste à découvrir d’autres festivals – pour les présenter un jour dans les pages de cette revue –, qu’il s’agisse de Bayreuth, des grands rendez-vous d’été en Italie à Florence, Macerata, Pesaro, Rome, Torre del Lago, celui de Savonlinna en Finlande et de Wexford en Irlande. Mais une chose est sûre : je serai de retour, un jour prochain, à Glyndebourne, car j’y ai vu et entendu de l’art total à son sommet et y ai vécu, comme le recherche tout et toute opéraphile, une inoubliable « expérience » lyrique. 

POUR ALLER PLUS LOIN 

Deux ouvrages permettent d’en apprendre davantage sur le Festival de Glyndebourne. Paru en 2009 pour souligner le 75e anniversaire du Festival sous le titre Glyndebourne – A Visual History, cet album souvenir est en vente à la boutique du Festival pour la modique somme de 10 £. L’ouvrage Glyndebourne : A Short History est aussi une source précieuse, dont une édition révisée par Julia Aries a été publiée en 2019. 

ENCADRÉ

UN QUÉBÉCOIS D'ADOPTION À GLYNDEBOURNE 

Éric Gautron
Directeur technique du Festival de Glyndebourne
Photographie : James Bellorini

Une belle surprise m’attendait à mon arrivée à Glyndebourne, soit la rencontre d’Éric Gautron, directeur technique du Festival. Franco-Manitobain né à Saint-Boniface et diplômé de la Faculté d’architecture de l’Université du Manitoba, Éric Gautron a également été formé à l’École nationale de théâtre du Canada à Montréal. Québécois d’adoption, il a d’abord travaillé au Théâtre de Quat’Sous et est entré chez Ex Machina, où il a participé, entre autres, à la préparation du cycle Der Ring des Nibelungen de Wagner dans la mise en scène de Robert Lepage pour le Metropolitan Opera de New York. Son travail a de toute évidence séduit la direction du Met, qui l’a par la suite recruté comme directeur technique. 

Après un peu plus de quatre années passées à New York, il est invité à devenir le directeur technique du Festival de Glyndebourne, fonction qu’il assume depuis mai 2016. Son travail est très apprécié de toute l’équipe du Festival, Gus Christie, Stephen Langridge et Sarah Hopwood ne tarissant pas d’éloges à son endroit. Durant mon séjour à Glyndebourne, j’ai donc échangé avec un homme passionné par son métier et heureux de diriger une équipe de plus de 150 techniciens, artisans et créateurs dont il louange à son tour le dévouement et les compétences. Il est par- ticulièrement fier du travail accompli depuis son arrivée en Angleterre, mais un des plus gros défis auxquels il est aujourd’hui confronté est l’installation d’un nouveau système d’automatisation de la scène. 

La construction, dont la mise en chantier a débuté en 2019, s’étendra jusqu’en 2024. La première étape a consisté en la mise en place de trois nouveaux ponts d’éclairage et de 14 nouveaux treuils de levage de pointe, qui permettront de lever des éléments de forme plus complexe que les machines traditionnelles parallèles à l’arc du proscenium. Les porteuses à contrepoids existantes seront remplacées lors de la deuxième étape, ainsi que les systèmes connexes tels que l’ascenseur de la fosse d’orchestre, les ascenseurs de stockage des tissus et les échelles d’éclairage latéral. De nouvelles possibilités seront créées avec l’installation d’équipements modernes. Ceux-ci permettront d’imaginer des mises en scène encore plus osées sans se soucier des contraintes techniques. 

Au terme de l’entretien avec Éric Gautron — où il a également été question de conception de costumes, de confection de décors ainsi que de relations avec les artistes et concepteurs qui donnent vie à chacune des productions du Festival, — on ne peut qu’être admiratif devant le travail de celui qui mérite d’être présenté comme un véritable artiste lyrique. Et on est d’autant plus convaincu de l’importance de la fonction qu’il occupe lorsqu’on lit la citation de Louis Jouvet, comédien, metteur en scène et directeur de théâtre français, qui est affichée à l’entrée de son bureau : « Quand je considère les gens de théâtre, c’est le machiniste qui m’appa- raît, pour avoir, mieux qu’un autre, le sens du dramatique. Tout ce que je sais du théâtre, je l’ai appris d’abord avec les machinistes, sur la scène, dans cet espace imaginaire où se passent des actions imaginaires qu’on appelle pièces de théâtre. Dans cette profession où chacun travaille dominé par un sentiment, le machiniste est peut-être le plus éminent. Celui qui sait dire le sens des choses invisibles, celui qui sait en faire les écrans, qui a le sens du théâtre. » 

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Note : Des entretiens réalisés avec l’Executive Chairman Gus Christie, le directeur artistique Stephen Langridge et la directrice administrative Sarah Hopwood seront bientôt ajoutés au présent dossier.


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