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RENCONTRE- L’Opéra de Québec, L’Elisir d’Amore et ses deux Julien (Dran et Véronèse)- Le défi de faire apprécier l’opéra, ce génial mélange des genres

RENCONTRE- L’Opéra de Québec, L’Elisir d’Amore et ses deux Julien (Dran et Véronèse)-   Le défi de faire apprécier l’opéra, ce génial mélange des genres

Julien Véronèse et Julien Dran
et leur élixir au Grand Théâtre de Québec 17 octobre 2021
Photographie : Claudine Jacques

Pour incarner les rôles de Nemorino et Dulcamara, le directeur artistique de l’Opéra de Québec, Jean-François Lapointe, a décidé de faire appel à deux artistes lyriques français, le ténor Julien Dran (JD) et le baryton-basse Julien Véronèse (JV). Après deux semaines de répétitions et à quelques jours de la première qui aura lieu à la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec le samedi 23 octobre 2021 et se disant honorés d’avoir été invités à prendre part à cette nouvelle production de l’Opéra de Québec, les deux Julien ont accepté de livrer à L’Opéra leurs impressions sur leur première visite au Québec, de parler de leur collaboration avec leurs collègues, de présenter leurs vues sur l’œuvre de Donizetti et de commenter la situation de l’opéra en temps de pandémie. 

Pourriez-vous nous faire part de vos premières impressions de Québec et de la Capitale dont vous avez foulé le sol, l’un et l’autre, pour la première fois ?

Même si notre arrivée en territoire québécois s’est avérée un peu chaotique en raison d’un retard de notre vol de Paris à Montréal et une correspondance aérienne manquée en raison de ce retard, notre voyage d’agrément (road trip) de nuit entre votre Métropole et Québec nous a permis de nous retrouver dans cette ville pour laquelle nous avons eu un véritable « coup de cœur ». Dès les premières heures de notre tout premier séjour au Québec, nous apprécions la beauté de votre Capitale nationale et l’hospitalité de ses gens. Sans être étonnés, nous sommes touchés par leur gentillesse et leur énergie, et nous apprécions en particulier ces sourires qui nous accueillent partout dans les lieux publics.

Que retenez-vous de vos deux premières semaines de répétitions à Québec pour la nouvelle production de L’Elisir d’Amore ?

Nous nous réjouissions du bel esprit d’équipe qui règne entre les solistes, nos collègues Hugo Laporte, Catherine St-Arnaud et Lucie St-Martin, les choristes ainsi qu’avec le metteur en scène Alain Gauthier et le chef Jean-Michel Malouf. Leur degré de préparation et leur professionnalisme les honorent et nous incitent – nous aussi- à donner le meilleur de nous-mêmes pour une production qui s’annonce des plus réussies. Nous constatons que Jean-François Lapointe, pour lequel nous avons à la fois de l'admiration et du respect, offre aux chanteurs français que nous sommes la chance de nous produire pour la première fois sur une scène nord-américaine et à vos jeunes artistes lyriques la possibilité de se distinguer dans cet événement lyrique. Et nous nous rendons compte qu’il maîtrise l’art de faire de belles distributions dès sa première grande production comme directeur artistique de l’Opéra de Québec. On apprend d’ailleurs qu’il s’agit de la première production scénique d’envergure au Québec et au Canada depuis le début de la pandémie….et nous sommes fiers d’y être associés.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce « melodramma giocoso » de Donizetti créé au Teatro della Canobbiana de Milan en 1832 et sur votre rapport à cette œuvre ?

JD : J'ai pris le rôle de Nemorino au Théâtre Boussy-Saint-Antoine dans la région parisienne en novembre 2018 et je devais aussi le tenir l’été dernier dans une production de l’Opéra de Vichy. Celle-ci se présentait comme une version inédite de l’œuvre dans un format développé par la compagnie Op’Là, mais le décès de mon père, qui était aussi un artiste lyrique, m’en aura empêché. Je suis donc très content d'entrer à nouveau dans la peau du personnage ici à Québec. 

En ce qui a trait à l’œuvre elle-même, L’Elisir est selon moi l’un des chefs d’œuvre du bel canto et contient l’un des plus beaux airs de ce répertoire, le célébrissime « Una furtiva lagrima » dont la juste interprétation est toujours un grand défi pour un ténorMais cette oeuvre n’est pas un opéra aussi léger qu’il n’y paraît. Ce n’est pas Otello, mais il s’agit d’une œuvre qui tant au plan musical qu’au plan dramatique, permet à ses interprètes et artisans d’être créatifs, tout en étant d’ailleurs précurseur d’autres grands opéras de Donizetti, qu’il s’agisse de Lucia Lammermoor, de La Fille du régiment ou de Don Pasquale.

Julien Dran (Nemorino) et Amélie Robins (Adina)
L'Elisir d'Amore de Gaetano Donizetti
Théâtre Boussy-Saint-Antoine
Novembre 2018

JV : Il ne s’agit pas dans mon cas d’une prise de rôle car j’ai tenu celui-ci au Capitole de Toulouse où j’ai incarné Dulcamara quelques jours avant que l’urgence sanitaire soit déclarée en France en mars 2020 et que nos théâtres lyriques ferment leurs portes. D’ailleurs, je suis fier de pouvoir faire un premier retour sur scène ici au Québec. Et je reprendrai le rôle en avril 2022 à l’Opéra national de Bordeaux. 

Kevin Amiel (Nemorino) et Julien Véronèse (Dulcamara)
L'Elisir d'Amore de Gaetano Donizetti
Théâtre du Capitole de Toulouse
Février 2020

L’Elisir d’Amore est pour moi une œuvre qui peut comporter plusieurs niveaux de lecture. Ainsi, le Dulcamara peut être perçu comme autre chose qu’un gros escroc et un imperturbable charlatan, mais un être humain qui, en dernier ressort, veut une fin heureuse pour Adina et Nemorino. Il m’appartient de donner une épaisseur psychologique au personnage, comme ce sera aussi le cas pour mes collègues et les leurs. Et je m’y efforcerai!

Vous êtes au Québec où sévit, comme en France et ailleurs dans le monde, une quatrième vague de la maladie de la COVID-19. Comment cette situation et les mesures visant à protéger la santé de la population vous affectent-t-elles comme artiste et impacte selon vous l’art lyrique ?

Nous avons d’abord constaté que les gens d’ici sont très disciplinés et semblent disposés à respecter les consignes sanitaires, dans les restaurants et les commerces par exemple. Nous sommes un peu surpris de voir aussi que, sans y être obligés, plusieurs personnes portent aussi le masque dans la rue. En ce qui concerne l'impact de la pandémie sur notre art lyrique, le fait d’avoir dû arrêter de chanter en raison des confinements et reconfinements en France et ailleurs en Europe nous a véritablement privé de faire notre métier... et de notre gagne-pain aussi. Mais les choses reprennent peu à peu et nous sommes optimistes. Nous croyons que les amateurs d’art lyrique reviendront progressivement dans les salles et voudront apprécier l’art vivant et total qu’est l’opéra, ce génial mélange des genres, et qu'ainsi les artistes pourront, à nouveau et sur scène, déployer leurs talents. En tous les cas, nous sommes tous les deux fort reconnaissants à Jean-François Lapointe de nous donner l’occasion de bosser « hors de France » et espérons que les gens de Québec répondront présents pour L’Elisir d’Amore.


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