NOUVELLE - Lancement de la deuxième édition du Festival Palazzetto Bru Zane à la Salle Bourgie
Le 9 avril dernier, la Salle Bourgie donnait le coup d’envoi à la deuxième édition du Festival Palazzetto Bru Zane Montréal avec une journée d’étude consacrée au compositeur français Camille Saint-Saëns dont on célèbre cette année le centième anniversaire de son décès.
Le Centre de musique romantique française, qui est aussi connu par sa désignation italienne Palazzetto Bru Zane, du nom du Palais de 1695 situé à Venise et restauré en 2009 où il est situé, s’est donné pour vocation la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français du grand XIXe siècle. Si le Centre s’intéresse à la musique de chambre et au répertoire symphonique et sacré, il consacre une importante partie de ses activités à l’opéra, mais également aux genres légers qui caractérisent l’esprit français et que sont l’opéra-comique, l’opérette et la chanson.
Pour mener à bien sa mission, le Palazzetto Bru Zane s’est engagé dans divers projets dont les plus importants sont certes la conception de concerts et de spectacles destinés à être présentés en tournée ou dans le cadre des festivals de l’organisme, mais le Centre de musique romantique française assure aussi un travail important dans le milieu de la recherche. En effet, le Palazzetto Bru Zane accompli un important un travail de catalogage et de numérisation de fonds documentaires concernant la musique romantique française en plus de coordonner divers chantiers de recherche. Cet organisme a en outre mis en place une webradio, la Bru Zane Classical Radio qui est diffusée en continu et qui permet de découvrir le répertoire que l’équipe de Bru Zane entend sortir de l’ombre.
Les activités de diffusion du Palazzetto Bru Zane se sont également traduites par la mise en place d’une collection de livres en coédition chez Actes Sud à Arles. Parmi leurs plus récents ouvrages, on trouve notamment Croquer Saint-Saëns : Une histoire de la représentation du musicien par la caricature (2021) de Stéphane Leteuré qui propose de s’intéresser à ce compositeur par le biais des nombreuses caricatures dont il a fait l’objet. Un ouvrage collectif sous la direction d’Étienne Jardin, cette fois consacré à la compositrice Mel Bonis – Mel Bonis (1858-1937) : Parcours d’une compositrice de la Belle Époque (2020) – retrace la trajectoire de cette femme et contient en outre deux articles de François de Médicis, professeur à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. C’est que le Palazzetto Bru Zane a à cœur d’alimenter la collaboration entre les différentes institutions intéressées par la musique française du XIXe siècle. C’est d’ailleurs ainsi qu’un partenariat s’est noué entre le Palazzetto et l’Équipe musique en France (ÉMF) de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), et a donné lieu cette année à la journée d’étude sur Saint-Saëns mettant en présence – virtuelle – des chercheurs des deux institutions.
Les liens entre le Québec et le Palazzetto Bru Zane ne se limitent pas au domaine de la recherche. En effet, parmi les autres sphères d’activités de l’organisme, il y a aussi la publication d’enregistrements discographiques sous une forme des plus intéressantes : des livres-disques dont les premières éditions sont limitées et numérotées, d’un format classique, sur du papier vergé et qui permettent de plonger dans les œuvres et de les découvrir comme l’ont fait les membres de l’équipe artistique du Palazzetto. Trois collections se présentent sous cette forme : « Prix de Rome », « Portraits » et « Opéra français ». Pour cette dernière collection, plusieurs interprètes lyriques québécois ont été sollicités. C’est ainsi que l’on peut entendre Jean-François Lapointe (Dante de Benjamin Godard et Le Mage de Jules Massenet), Karina Gauvin (Olimpie de Gaspard Spontini), Marie-Ève Munger (Le Pré aux clercs de Louis-Ferdinand Hérold) ainsi qu’Étienne Dupuis et Tomislav Lavoie (La Reine de Chypre de Fromental Halévy). Leur compatriote Hélène Guilmette compte aussi parmi ses artistes ; deux des derniers livres-disques du Palazzetto Bru Zane mettent en vedette a soprano québécoise dans les premiers enregistrements mondiaux des opéras Le Timbre d’argent (1877) de Camille Saint-Saëns et L’Île du rêve (1898) de Reynaldo Hahn*. Parus à quelques mois d’intervalle, respectivement les 23 août et 23 octobre 2020, ces enregistrements permettent de découvrir deux œuvres qui méritaient véritablement d’être ressuscitées, ce que confirme le bel accueil qui leur a été réservé, et les nombreux prix ont été attribués à ces enregistrements du Palazzetto Bru Zane.
Le Timbre d’argent de Camille Saint-Saëns
Achevé en 1865 et ayant fait l’objet de multiples versions, Le Timbre d’argent est présenté dans une dernière version opératique au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en 1914, ce qui lui a valu d’être qualifié du premier et dernier opéra de Saint-Saëns. Cette version du drame lyrique en quatre actes sur un livret Jules Barbier et Michel Carré a été présentée à l’Opéra-comique en 2017 et enregistrée à la Philharmonie de Paris les 26 et 27 juin 2017.
Comparé non sans raison à l’opéra Les Contes d’Hoffman de Jacques Offenbach (écrit en 1851, mais présenté en 1881), et offrant des pages lyriques qui rappellent celles de ses compatriotes Berlioz, Massenet et Gounod, Le Timbre d’argent met en scène le rêve – ou est-ce plutôt un cauchemar ? – du peintre Conrad, à qui le diable offre un timbre ou clochette d’argent. Il doit la faire sonner pour obtenir de l’or qui lui permet de conquérir l’amour de la danseuse Fiamnetta qu’il a peinte en Circé, mais qui est à l’origine de la mort de son beau-père et son meilleur ami Bénédict.
L’œuvre est séduisante sur le plan musical, tant par les airs de ses cinq principaux personnages que par les magnifiques passages choraux que recèle la partition. Dans l’ensemble, la distribution rend justice à l’œuvre. Incarnant le personnage dont elle porte elle-même le prénom, la soprano Hélène Guilmette se distingue une fois de plus et sa voix est toujours aussi lumineuse. Son interprétation de l’air « Le bonheur est chose légère » en est la parfaite illustration, comme l’est aussi l’ensemble de sa prestation. La soprano belge Jodie Devos excelle aussi dans le rôle de Rosa, notamment dans le duo « L’humble papillon de nuit », qu’elle chante avec le Bénédict du ténor chinois Yu Shao. De ce dernier, on peut souligner la grande musicalité et une diction française irréprochable, comme le révèle en outre son interprétation de l’air « Demande à l’oiseau qui s’éveille ». Le rôle complexe du démon manipulateur qu’est Spiridion est aussi rendu avec brio par le baryton grec Tassis Christoyannis. Cependant, la voix tendue du ténor lithuanien Edgaras Montvidas ne sert pas toujours bien le personnage central de Conrad, bien que sa prestation au troisième et au quatrième acte s’améliore de façon significative.
La partition de Saint-Saëns fait une place significative au chœur; les membres d’Accentus sont par ailleurs en parfaite symbiose avec les solistes. Dès la très belle et longue ouverture de l’opéra, la palette orchestrale de l’œuvre est fort bien mise en valeur par le chef François-Xavier Roth et ses instrumentistes de l’orchestre Les Siècles.
Il s’agit là d’un exemple du travail accompli par le Centre de musique romantique française. On ne peut que souhaiter que l’entreprise de la Salle Bourgie de tenir un Festival Palazzetto Bru Zane devienne un rendez-vous attendu par les lyricomanes du Québec. En tous cas, ce n’est pas la pandémie qui arrête leur équipe, comme en témoigne la deuxième édition qui se déroulera du 9 avril au 1er mai.
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Voir le site du Palazzetto Bru Zane
Voir la programmation du Festival Palazzetto Bru Zane à la Salle Bourgie
Voir les conférences sur Camille Saint-Saëns présentées le 9 avril dernier
*Retrouvez la critique de L’Île du rêve de Reynaldo Hanh par Daniel Turp dans le numéro 26 de la revue