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LE RÉPERTOIRE LYRIQUE QUÉBÉCOIS

LE RÉPERTOIRE LYRIQUE QUÉBÉCOIS

Dans le premier Dossier de L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique, le musicologue Pascal Blanchet et moi-même affirmions que nous assistions à une « effervescence de la vie lyrique au Québec » (L’Opéra, no 1, p. 15). Il y était aussi rappelé les paroles de Pierre Vachon qui, dans son article « Notre histoire lyrique a-t-elle réellement 400 ans ? » publié dans ce même numéro inaugural de la Revue (Ibid., p. 26), affirmait qu’« il était important de « prendre la mesure de la vitalité trop souvent ignorée de notre passé lyrique et de son présent vibrant ».

Durant ses cinq premières années de publication, la Revue s’est intéressée au passé lyrique du Québec en publiant une série d’articles dans une section « Mémoires » à laquelle plusieurs historiens et historiennes de la musique ont contribué. D’Emma Lajeunesse Albani à Rodolphe Plamondon, en passant par Henri Pontbriand, les grands interprètes lyriques ont été rappelés à la mémoire des opéraphiles d’aujourd’hui, comme l’a également été l’existence d’institutions qui, comme l’Opéra français de Montréal, la Société canadienne d’opérette et les Variétés lyriques, ont participé à la genèse de la nation lyrique qui émergeait au Québec au XX siècle*.

Le « présent vibrant » a été fort bien couvert et documenté dans cette revue depuis le début de sa parution et a permis de constater que la floraison d’interprètes se poursuit comme en font foi les carrières en plein essor de nombreux jeunes artistes lyriques tels que Marie-Ève Munger, Claire de Sévigné et Hugo Laporte, de même que la présence constante d’artistes comme Marie-Nicole Lemieux, Karina Gauvin, Hélène Guilmette, Jean-François Lapointe, Étienne Dupuis et Frédéric Antoun sur les grandes scènes lyriques du monde. Le rayonnement de metteurs en scène comme Alain Gauthier et Oriol Tomas s’accentue et leurs noms s’ajoutent dorénavant à ceux de Robert Lepage et François Girard dont le travail continue d’éblouir les opéraphiles de la planète lyrique toute entière. Et que dire de l’ascension fulgurante de « notre » Yannick Nézet-Séguin à qui la direction musicale de la prestigieuse compagnie lyrique de New York, le Metropolitan Opera, a été confiée, sans parler de ces autres chefs lyriques comme Jacques Lacombe, Bernard Labadie et Alain Trudel, qui se distinguent, et d’une relève représentée par Jean-Marie Zeitouni, Dina Gilbert, Jean-Michaël Lavoie et Nicolas Ellis qui sont des chefs lyriques en puissance.

Ce passé lyrique et ce présent vibrant ne semblent pas pouvoir reposer sur cette autre catégorie d’artistes lyriques que sont les compositeurs et compositrices. Sans doute, était-ce injuste de ne pas prêter davantage d’attention à l’existence d’œuvres lyriques de musiciens et de musiciennes d’ici composées de la fin du XVIIIe siècle à celle du XXe siècle, de Colas et Colinette de Joseph Quesnel à Kopernikus de Claude Vivier, ainsi que – et surtout devrait-on dire – des initiatives de Chants libres, qui est à l’origine d’un nombre significatif de création opéras depuis que Pauline Vaillancourt a donné naissance à cette compagnie. Il importe tout de même de constater que le nombre d’oeuvres lyriques composées au Québec demeure limité, y compris dans les deux premières décennies du présent siècle. À cet égard, les compagnies lyriques qui ont marqué l’histoire de l’opéra au Québec, dont les deux principales sont aujourd’hui l’Opéra de Montréal et l’Opéra de Québec, n’ont guère donné l’exemple en matière de création de nouvelles œuvres.

Toutefois, le vent semble avoir tourné depuis les cinq dernières années, car l’on assiste non seulement à une volonté de promouvoir la création, mais également à l’émergence d’une nouvelle génération de compositeurs et compositrices lyriques. Après sa Prima Donna, Rufus Wainwright a poursuivi son expérience lyrique en composant Hadrian, et Michel Gonneville, suivant l’exemple de son professeur – le regretté Gilles Tremblay dont L’Eau qui danse, la pomme qui chante, et l’oiseau qui dit la vérité s’est avéré l’une des dernières œuvres de ce grand compositeur québécois – s’est lancé de sa propre initiative dans l’aventure avec L’Hypothèse Caïn. On a de même récemment assisté aux premières véritables commandes d’œuvres québécoises par une grande compagnie lyrique, comme en témoigne la décision de l’Opéra de Montréal de donner l’occasion à Michel Marc Bouchard d’écrire un livret d’opéra à partir de sa pièce Les Feluettes et de confier au compositeur Julien Bilodeau le soin d’écrire la musique d’Another Brick in the Wall sur l’œuvre célébrissime de Pink Floyd et de son « lyricist » Roger Waters. Ces deux œuvres ont été fort bien accueillies et ont connu à ce jour un rayonnement au Canada et aux États-Unis. Le même Opéra de Montréal a aussi – d’aucuns diront enfin, car sa feuille de route internationale était déjà bien établie – fait découvrir à son public l’opéra Svadba de la compositrice Ana Sokolović. Et dans ce lieu si propice qu’est l’Espace Go, la réception du public a été plus qu’enthousiaste.

De toute évidence, la tendance se maintiendra. Dans ce même Espace Go, on assistera au début de 2020 à la création de L’Hiver attend beaucoup de moi par deux jeunes artistes québécoises, la compositrice Laurence Jobidon et la librettiste Pascale St-Onge. La compagnie Chants libres créera également en 2020 l’opéra L’Orangeraie sur un livret de Larry Tremblay. Et l’on sait d’ores et déjà qu’entre 2021 et 2023, trois nouveaux opéras seront présentés : la création à l’Opéra de Montréal de La Beauté du monde et de La Reine-Garçon contribuera ainsi à consolider les vocations lyriques de Julien Bilodeau et Michel Marc Bouchard, et la compositrice Ana Sokolović achèvera la composition de l’opéra The Old Fools, qui sera produit par la Canadian Opera Company.

Après avoir invité la communauté lyrique québécoise à « Passer, enfin, à l’acte de création » (voir L’Opéra, nº 3, p. 5) et pris note des vues exprimées par le musicologue Michel Duchesneau selon lequel le public était en droit de s’attendre de l’Opéra de Montréal et des autres maisons lyriques du Québec qu’ils aient de l’ambition « créatrice » (Ibid., p. 49-50), L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique et le nouveau Observatoire québécois d’art lyrique (OQAL) sous l’égide duquel la Revue est dorénavant publiée, a décidé d’initier une recherche sur le répertoire lyrique québécois.

 En prélude à des analyses plus approfondies des œuvres lyriques qui seront conduites par le Centre et qui paraîtront ultérieurement dans la présente Revue, une première et inédite Liste des opéras québécois a été compilée et comprend, comme le tableau en annexe le révèle, 110 œuvres lyriques composées et créées au Québec de 1790 à 2019. Une Liste des opéras québécois en voie de création suit cette première liste et contient des informations sur les cinq opéras qui verront le jour dans les trois prochaines années. Ce document a été établi avec la collaboration du musicologue Pierre Vachon et de la grande historienne de la musique et professeure émérite à la Faculté de musique l’Université de Montréal Marie- Thérèse Lefebvre.   

Ces listes et les informations qui y sont contenues constitueront la matière première d’études qui permettront d’évaluer la contribution des opéras québécois au répertoire lyrique dans son ensemble, d’identifier les tendances que révèlent les œuvres lyriques composées au Québec depuis le début du xxie siècle et de formuler des propositions pour que les compositeurs et compositrices d’ici se voient donner les moyens de contribuer, comme le font nos interprètes, metteurs en scène et chefs, à l’enrichissement de la vie lyrique ici et dans le monde.


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