Critiques

POUR ALBERICH PLUS QUE POUR WOTAN...

POUR ALBERICH PLUS QUE POUR WOTAN...

(Photo : Andrea Núñez (Woglinde), Florence Bourget (Wellgunde) et Carolyn Sproule (Flosshilde) dans Das Rheingold de Wagner, Opéra de Montréal, 2018. Crédit : Yves Renaud)

Pour cette première mise en scène de Das Rheingold à l’Opéra de Montréal, la production importée du Minnesota s’est montrée avant-gardiste tout en laissant la place d’honneur aux voix et à l’orchestre. Pari risqué, car le public montréalais n’est pas réputé pour être très attaché à Wagner. Ce qui pouvait donc paraître comme un risque s’est transformé en une production grand public capable de rejoindre les mélomanes comme les néophytes.

Cette réussite est assurément attribuable à la mise en scène de Brian Staufenbiel. Ce dernier a choisi d’installer l’orchestre sur scène et de disperser les personnages (selon leurs rangs ou les besoins de l’action) entre une passerelle suspendue et la fosse, aménagée comme espace de jeu pour l’occasion. Idée ingénieuse qui proposait bien plus qu’une version « de concert avec mise en espace ». En y ajoutant des projections sur deux plans visuels, en guise de décors, et en installant à même l’orchestre des passages à niveaux, le metteur en scène pouvait ainsi réaliser adéquatement les divers changements de décors requis par la partition.

Les prétentions de Brian Staufenbiel voulaient faire des dieux les détenteurs du pouvoir de par leur connaissance de la technologie moderne, or le résultat n’était pas éloquent, et c’était finalement pour le mieux ! En voulant allégoriquement lier l’or du Rhin aux nouvelles technologies, le discours narratif aurait été inutilement alourdi et peu en adéquation avec les visées philosophiques de Wagner. Néanmoins, avec des choix ciblés de costumes (pas toujours esthétiquement beaux, mais adéquatement créés en fonction des personnages) et une scénographie faisant place à des projections efficaces, une mythologie cohérente – gorgées aux références populaires (on pense aux films Mad Max pour le monde souterrain des Nibelungen, ou encore à certains films de science-fiction pour les dieux...) – se déployait organiquement sur scène. La représentation des géants (filmés en direct sur scène, mais projetés sous forme d’inquiétants trolls informatiques) était prenante ! Une telle vision aura certainement de grands attraits pour un large public, mais elle fera peut-être friser les cheveux de quelques puristes. Il faut savoir choisir ses combats !

Il est néanmoins difficile de croire que ces partis pris scéniques pourraient bien se déployer tout au long d’une Tétralogie. Ils étaient cependant très bien adaptés pour cette proposition d’un spectacle unique, hors du cycle complet.

Si la distribution était solide et équilibrée, il y a cependant deux chanteurs qui se sont démarqués, l’un pour le mieux, l’autre pour le pire... Il est malheureux que la voix de Ryan McKinny n’ait pas toute la puissance et la prestance de ce que l’on attend du rôle de Wotan. Acteur sensible et habité, sa voix aurait fait sensation lors d’un récital, mais sa prise de rôle est ici discutable (trop tôt peut-être pour ce chanteur qui semble néanmoins doué). À l’inverse, c’est Nathan Berg qui, personnifiant Alberich, a pratiquement volé la vedette avec une voix riche et puissante couplée à un jeu naturel et convainquant. Autrement, peu de bémols à l’horizon, sinon peut-être la voix un peu inégale de Roger Honeywell, qui a cependant amplement compensé par son jeu d’acteur. Les deux géants, Julian Close et Soloman Howard, étaient titanesques de par leurs voix profondes. Du côté des dieux, on peut être fier des Québécois Caroline Bleau et Steeve Michaud qui ont chanté leur rôle avec une assurance et une musicalité époustouflantes. La Frika d’Aiden Ferguson était tout aussi solide.   

Il n’y a que des félicitations à formuler du côté de l’orchestre. Il faut néanmoins se rendre à l’évidence que la salle Wilfrid-Pelletier n’est pas la Maison symphonique ! Bien que la puissance sonore soit accentuée de par leur sortie de la fosse, les musiciens de l’Orchestre Métropolitain demeuraient légèrement feutrés. La direction de Michael Christie était en tout temps au service des chanteurs et de la fluidité du spectacle.

Une chose est certaine, pour un spectacle unique, cette production de Das Rheingold était de haut niveau. Mais on peut se permettre de rêver à une Tétralogie purement québécoise, dont le talent créateur des metteurs en scène d’ici pourrait façonner cette partition emblématique et lui insuffler une vision unique, une portée symbolique à la fois nouvelle et universelle. Après tout, cette mythologie aux racines nordiques pourrait très bien s’installer au bord du Saint-Laurent, grandiose Rhin d’Amérique !

Das Rheingold

L’Or du Rhin, prologue en quatre scènes de L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner sur un livret du compositeur Production : Minnesota Opera

Production
Opéra de Montréal
Représentation
10 novembre 2018
Direction musicale
Michael Christie
Instrumentiste(s)
Orchestre Métropolitain
Interprète(s)
Ryan McKinny (Wotan), Roger Honeywell (Loge), Gregory Dahl (Donner), Steeve Michaud (Froh), Aidan Ferguson (Frika), Caroline Bleau (Freia), Catherine Daniel (Erda), Andrea Núñez (Woglinde), Florence Bourget (Wellgunde), Carolyn Sproule (Flosshilde), Julian Close (Fasolt), Soloman Howard (Fafner), Nathan Berg (Alberich) et David Cangelosi (Mime)
Mise en scène
Brian Staufenbiel
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