CRITIQUE - Fluidité opératique : Un concert unique en son genre
Ian Sabourin et Rose Naggar-Tremblay, Fluidité opératique
Photographie: Philippe Latour
Dans le cadre du Festival Montréal Baroque 2024, Arion invitait le contreténor Ian Sabourin et la contralto Rose Naggar-Tremblay pour une soirée présentant des airs opératiques d’Haendel dans la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours sous la direction d’Hank Knox.
J’ai toujours aimé cette chapelle pour la musique ancienne; l’endroit est sublime et l’équipe est toujours très accueillante, tant pour le public que pour les artistes. Cependant, les habitués le savent bien, l’acoustique de la chapelle est caractérisée par une forte réverbération. Personnellement, je préfère y entendre du répertoire de consort ou de chœur plutôt que du répertoire de soliste. En sachant cela, je me suis assuré d’avoir le choix d’une place dans les premières rangées de la chapelle, ce qui m’a permis de réduire une partie de la réverbération, et ainsi de pouvoir profiter pleinement du spectacle. Certaines personnes m’ont néanmoins informé du fait que l’acoustique du fond de la salle rendait la compréhension des textes un peu ardue.
Le spectacle était mis en scène par Thomas Ayouti, artiste franco-iranien évoluant principalement à Toronto, dont la pratique artistique va de la littérature à la mise en scène, en passant par la musique. Certains se souviendront peut-être de lui pour le spectacle d’opéra folk Jimmy & Rosalia, une collaboration avec Nick Veltmeyer et Anna Lewton-Brain présentée en 2021 lors du OFF Montréal Baroque à la Salle Bourgie. Concepteur du spectacle, M. Ayouti a cherché à aborder les rôles écrits pour castrats dans les œuvres d’Haendel. Dans cette optique, le concert nous présentait également, sous forme d’entretiens enregistrés et diffusés entre les morceaux, des témoignages de membres de la communauté 2ELGBTQI+ montréalaise afin d’appuyer la fluidité de la figure du castrat.
L’idée est intéressante et la démarche suscite l’intérêt, comme l’atteste le public nombreux venu pour le concert. Les témoignages sont très touchants, mais l’exécution empêche d’en comprendre tout le propos. Je ne sais pas si c’était l’enregistrement en lui-même, qui rappelait une conversation sur Zoom (ce qui pourrait expliquer une qualité sonore moindre), ou le système de son de la chapelle, mais j’ai eu un peu de difficulté à comprendre les témoignages. Certes, cette esthétique « intimiste » est peut-être un parti pris – cette proximité donnait un caractère de confidence aux interventions – mais l’aspect technique de cette partie du spectacle rendait difficile la bonne compréhension.
Concernant le propos du concert, on pouvait lire sur le site du festival : « Une incursion dans le monde des castrats, véritables superstars au XVIIIᵉ siècle à qui Georg Friedrich Haendel dédie certains de ses plus grands rôles, aujourd’hui chantés par des voix à la fois féminines et masculines, faisant naître d’intéressants contrastes, des couleurs uniques donnant aux personnages de multiples visages ». Cependant, après un petit examen, il s’avère que la moitié des rôles proposés dans le spectacle ont été créés par des femmes, et non par des castrats au XVIIIᵉ siècle. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais il aurait été intéressant d’obtenir une explication. Était-ce la volonté de l’équipe de conception? Si c’est le cas, quel était l’objectif? Y avait-il un propos artistique à retenir? Une des raisons pour expliquer cette différence tient-elle au fait que certaines œuvres étaient tirées d’oratorios plutôt que d’opéras? La note de programme était bien mince, et je dois admettre que je suis resté un peu sur ma faim.
Mentionnons néanmoins qu’une discussion animée était proposée une semaine plus tôt. Il ne m’a pas été possible d’y assister, mais j’imagine que certaines de mes questions y auraient trouvé leur réponse. Peut-être aurait-il été plus intéressant d’offrir cette causerie le jour même du concert?
Ma grande surprise de la soirée fut incontestablement la découverte des Concerti grossi de l’opus nº 6 d’Haendel. L’équipe d’Arion s’en sort à merveille avec un effectif réduit. Il faut absolument reprogrammer ces œuvres avec un orchestre complet. J’ai particulièrement apprécié entendre Sari Tsuji et Jacques-André Houle. Tsuji et Houle sont des vétérans de l’orchestre Arion et leur complicité est manifeste. Leur travail est d’autant plus appréciable que les parties de violons et d’alto ne sont jouées que par un seul interprète par partie, contre une section de continuo de quatre musiciens. J’ai également apprécié la présence de Francis Palma-Pelletier dont la contrebasse donnait l’illusion d’un continuo encore plus fourni. Noémy Gagnon-Lafrenais, qui occupait le poste de premier violon, fait toujours preuve d’une belle éloquence et les concerti d’Haendel lui donnent encore une fois l’occasion de faire montre de ses talents. On soulignera peut-être simplement, comme petite ombre au tableau, que l’humidité accablante de cette journée ainsi que la grande variété de tonalités au programme auront occasionné quelques défis à l’équipe pour maintenir une justesse constante.
Ian Sabourin et Rose Naggar-Tremblay, Fluidité opératique
Photographie: Philippe Latour
Au chapitre des chanteurs, Ian Sabourin semblait en grande forme. La partie vocale du concert s’ouvrait sur l’aria « Furibondo spira il vento » tiré de l’opéra Partenope HWV 27 et M. Sabourin affiche, d’emblée, une grande aise dans tout le registre de sa voix au timbre soyeux. À travers tout le concert, on a eu l’occasion de l’entendre dans des arias d’une grande tendresse – « Cara sposa » (Rinaldo HWV 7) et « Stille amare » (Tolomeo, re di Egitto HWV 34) – ont mis en valeur sa maitrise des pianos ainsi que son implication émotionnelle manifeste.
Rose Naggar-Tremblay n’est pas en reste non plus, elle qui brille particulièrement dans les deux airs d’oratorio « Where shall I fly » (Hercules HWV 60) et « Hence, Iris, hence away » (Semele HWV 58). L’air d’Hercules est particulièrement frappant avec son récitatif aux harmonies inattendues et son accompagnement instrumental chromatique illustrant la folie qui s’empare du personnage de Déjanire. Tous ces éléments concordent pour faire de cet air un des moments forts du concert, où Rose Naggar-Tremblay incarne à merveille le personnage. Il faut dire que ce type de rôles – Déjanire et Juno – lui va comme un gant.
Au final, un concert fort agréable, plein de surprises et de tendresse. Je l’ai déjà dit et je le répète, mais il manque de productions ambitieuses d’opéra baroque à Montréal. Ce concert était bien la preuve que ce n’est pas faute de talents et de savoir-faire.
Fluidité opératique
ORC : Arion Orchestre Baroque
- Production
- Arion Orchestre Baroque
- Représentation
- Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours , 15 juin 2024
- Direction musicale
- Hank Knox
- Interprète(s)
- Ian Sabourin (contreténor), Rose Naggar-Tremblay (contralto)
- Mise en scène
- Thomas Ayouti