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CRITIQUE - Une création mondiale au Festival d’opéra de Québec 2023

CRITIQUE - Une création mondiale au Festival d’opéra de Québec 2023

Photographie : Éric Laroche

C’est à un festival tout en français que le directeur général et artistique de l’opéra de Québec, Jean-François Lapointe, avait convié le public pour la 12e saison de cet événement devenu incontournableAux côtés de Roméo et Juliette de Gounod, et d’un clin d’œil à Donizetti avec Une fille sans régiment, il y eut la création mondiale, le 29 juillet au Palais Montcalm, de ce qui fut le moment le plus émouvant de ce festival : laMesse solennelle pour une pleine lune d’étéun opéra de Christian Thomas, d’après la pièce éponyme de Michel Tremblay (1996). 

Originaire de Québec et établi à MontréalChristian Thomas est un compositeur très actif depuis une quarantaine d’années dans le domaine théâtralayant régulièrement signé des arrangements et de la musique de scène, dont Equus de Peter Shaffer joué à Montréal en 2008 et 2011S’il a déjà collaboré plusieurs fois avec Michel Tremblay, la Messe solennelle est son premier opéra. Son livret est une adaptation très fidèle de la pièce de Tremblay, qui se déroule en 14 scènes. Tremblay comme Thomas ont donné à l’œuvre le cadre d’une messe, qui est plus un Requiem quune messe dominicale. On y trouve en effet un Introït, un Dies Irae, un Lacrymosacomme dans toute messe des morts. Dieu s’y confond subtilement avec la pleine lune, témoin de la détresse des gens ordinaires.

Avec cette création, le public de Québec vécu un moment historique : un opéra, composé avec tous les moyens vocaux propres à l’art lyrique, superbement interprété par des chanteurs d’opéra, mais reposant sur la « parlure » si authentiquement québécoise de Tremblay, avec des personnages du Plateau Mont-Royal, assis sur leurs balcons. À l’exception d’un jeune couple amoureux et insouciant, ils déversent à tour de rôle ou simultanément leurs frustrations, leurs rancœurs, leur envie d’en finir avec un quotidien sans promesses. Cela donne un subtil contrepoint de mots et de notes, évoquant parfois le style d’un oratorio.
 
Faire chanter des airs techniquement exigeants, et non des chansons, sur du joual de tous les jours, rempli de « chus pus capable », et en faire de véritables airs d’opéra tient du tour de force, un tour de force magistralement réussi par Christian Thomas. L’orchestre, riche en détails et en nuances, a été défendu solidement par les Violons du Roy dirigés par le jeune chef Thomas Le Duc-Moreau.
 
La musique, expressionniste et d’une riche palette stylistique contemporaine puise selon les besoins dans les esthétiques des époques précédentes. Elle épouse chaque mot, chaque cri du cœur des personnages de Tremblay : la chimie est parfaite. L’Introït et l’Ite missa réunissent les onze chanteurs tandis que les autres mouvements les font intervenir en solo, en duo ou en ensemble. Tout s’imbrique avec naturel. Pour l’Offertoire, le compositeur a destiné au magnifique orgue du Palais Montcalm un tango inattendu, dansé par le couple homosexuel Yvon et Gérard (Dominic Lorange et Dominique Côté), et superbement interprété aux claviers par Thomas Annand.

Photographie : Éric Laroche

Le décor de Jean Bard était fait de six balcons et de quelques marches permettant des déplacement sur scène. Un immense cercle projeté sur les tuyaux de l’orguereprésentait la luneEn l’absence de fosse d’orchestre au palais Montcalm, les percussions étaient au niveau du grand orgue, et l’orchestre derrière le décor, ce qui, à mon avis étouffait un peu le son des cordes. Les chanteurs pouvaient suivre le chef sur des écrans.
 
Alain Zouvi, dont c’était la première mise en scène d’opéraa bien recréé l’atmosphère à la fois magique et étouffante de cette pleine lune d’été, et fait sortir toutes les émotions vécues par les personnages : les onze chanteurs, assis sur leurs balcons, en descendaient parfois pour exprimer leur désespoir ou leur violenceLa scène où Jeannine (Ariane Girard) s’en prend physiquement à Louise (Jessica Latouche) était particulièrement intense.
 
L’opéra de Christian Thomas a été servi par une distribution parfaite : un couple de jeunes amoureux, Isabelle et Yannick (Magali Simard-Galdès et Jean-Michel Richer), toujours prêt à faire l’amour (scène 3, Exultate, jubilate, seul mouvement échappant à la messe), apporte une touche de fantaisie au milieu du drame des autres personnages : une veuve inconsolable (superbe Lyne Fortin!), une aidante naturelle qui n’en peut plus de prendre soin de son père amputé des deux bras (Chantal ParentAlain Coulombe), une mère qui tente de réconforter son fils abandonné par son amant (Priscilla-Ann Tremblay, Patrice Côté), un couple de femmes au bord de la rupture (Ariane GirardJessica Latouche), un couple d’hommes, dont un des partenaires a contracté le sida (Dominic LorangeDominique Côté).
 
Le public a réservé une immense ovation à tous les interprètes, à Christian Thomas et à Michel Tremblay, tous deux fort émus par ce qui venait de se passer.

Messe solennelle pour une pleine lune d’été

ORC : Les Violons du Roy

Production
Festival d'opéra de Québec
Représentation
Salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm , 29 juillet 2023
Direction musicale
Thomas Le Duc-Moreau
Interprète(s)
Lyne Fortin, Jessica Latouche, Chantal Parent, Magali Simard-Galdès, sopranos ; Ariane Girard, mezzo-soprano ; Priscilla-Ann Tremblay, contralto ; Dominic Lorange, Jean-Michel Richer, tenors ; Dominique Côté, Patrice Côté, barytons ; Alain Coulombe, basse
Mise en scène
Alain Zouvi
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