OPÉRA MCGILL AU MONUMENT-NATIONAL: JUSTESSE ET JUSTICE POUR LUCIA DI LAMMERMOOR
PHOTO: Bryan De Parsia dans le rôle d'Enrico
(@ Brent Calis)
Pour clore le mois de janvier 2018, l’Opéra McGill conviait le public montréalais à voyager dans les landes brumeuses de l’Écosse du XVIe siècle en présentant Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti. Forte de ses talents, l’équipe du directeur artistique et metteur en scène Patrick Hansen a su restituer la sombre magie de cette œuvre.
Amour, honneur, devoir, mensonge, trahison, mort : voilà autant de thèmes choisis par le compositeur et mélangés sur sa palette pour peindre son drame. C’est dire ce qu’il faut de finesse et de précaution pour bien le représenter. Le danger est d’en mettre trop ou, au contraire, pas assez. Alors, les émotions s’étiolent, le vrai meurt dans l’œuf, et le public reste de marbre. Par bonheur, le contraire s’est produit dimanche dernier au Monument-National, et le public a couronné d’applaudissements vifs la prestation des artistes.
Les chanteurs ont brillé de vérité, d’aisance et de sensibilité. La soprano Britanny Rae, dans une Lucia empreinte de majesté, déploie une admirable facilité non seulement dans les traits les plus virtuoses, mais également dans ses rapports à l’orchestre. Les instrumentistes jouent-ils à plein régime, sa voix perce la masse sonore sans la moindre apparence d’effort. Dans ses airs délicats, elle s’ajuste et entre en intime correspondance avec l’instrument qui l’accompagne, en particulier dans le fameux « Il dolce suono » où la flûte rôde comme un spectre autour de ses lignes vocales. Pour les autres chanteurs, Marcel d’Entremont, dans le rôle d’Edgardo (l’amant de Lucia), présente un jeu plein de lyrisme, très émouvant. Bryan De Parsia offre un vibrato généreux et puissant, bien venu dans le personnage irascible d’Enrico (le frère de Lucia). Et Jean-Philippe McClish, qui prête sa voix à Raimondo (le chapelain du château), énonce ses phrases avec un appréciable souci de prononciation, dans un son chaud et rond.
Les costumes n’ont rien de très original, mais ils évoquent efficacement l’univers de l’œuvre : bottes de cuir, tartans écossais, étoles de fourrure et épées au côté. Quant à Lucia, après le meurtre de son époux, une magnifique robe rouge symbolise le sang qu’elle a fait couler. Autre bel effet : le personnage muet du spectre de la femme assassinée, qui fait frémir par sa pâleur de mort et ses cheveux ébouriffés, porte une robe blanche sur laquelle se déroule un large ruban rouge en manière d’écoulement de sang. Dans la même veine, les décors, sans être très hardis, sont bien pensés. D’immenses bandes et panneaux gris, découpés en biseaux, figurent les murs du château de Lammermoor. Ils ont ceci de réussi que, par leurs dimensions, ils rappellent constamment les personnages à leur fragilité.
De son côté, Stephen Hargreaves, au gouvernail de l’Orchestre symphonique de McGill, n’a pas craint d’énergiser la partition, notamment dans le prélude du premier Acte, qui révèle un larghetto somme toute allant, appuyé par une timbale ferme et bien présente. Un choix qui s’est révélé judicieux. La section des violons, pour ce qui la concerne, a fait un joli travail de texture. Elle revêt un caractère agréablement lisse dans les moments où ses effectifs sont à l’unisson.
Pour le dire en quelques mots, le succès de la représentation repose sur la justesse qui a présidé à la réalisation. Les costumes et les décors ne sont ni extravagants ni minimalistes, de la même façon que le jeu théâtral n’est jamais surfait ni insuffisant. L’attention du spectateur se saisit alors aisément du fil narratif. Le plaisir d’interpréter s’ensuit. Lucia, bafouée, trompée, humiliée, est en fin de compte la seule qui soit lucide. Elle comprend que le monde dans lequel elle vit est injuste. Elle voit combien les forces qui jouent contre elle sont inflexibles et absurdes. Et le meurtre qu’elle commet, s’il est instigué par la folie, devient un geste de révolte. Le seul, peut-être, qui puisse rétablir un semblant de justice.
Lucia di Lamermoor
Opéra de Gaetano Donizetti en trois actes sur un livret de Salvadore Cammarano
- Production
- Opéra McGill
- Représentation
- Monument-National , 28 janvier 2018
- Direction musicale
- Stephen Hargreaves
- Instrumentiste(s)
- Orchestre symphonique de McGill
- Interprète(s)
- ritanny Rae (Lucia), Marcel d’Entremont (Edgardo), Bryan De Parsia (Enrico), Jean-Philippe McClish (Raimondo), Amelia Lubrano (Alisa), Sébastien Comtois (Arturo), Patrick McGill (Normanno), Sarah Dufresne (Apparition), et chœur de l’Opéra McGill
- Mise en scène
- Patrick Hansen