Critiques

AU-DELÀ DES DORURES ET DES PAILLETTES

AU-DELÀ DES DORURES ET DES PAILLETTES

PHOTO: Olesya Petrova, Gregory Dahl, Anatoli Sivko
(@Yves Renaud)

Pour qui aime soutenir les analogies sportives, on aurait pu dire que cette production d’Aida de Verdi, offerte en septembre à l’Opéra de Montréal, avait quelques prises contre elle. Non pas que l’affiche fut mauvaise ou l’oeuvre dénuée d’intérêt, bien au contraire. Pourquoi alors tant de scepticisme chez cette spectatrice ? Peut-être était-ce le souvenir de ces productions extravagantes où animaux sauvages côtoient moult choristes ? Trop souvent hélas, il semble que cette oeuvre plus que toute autre expose un nombre incalculable de clichés opératiques : grandiloquence, décors décevants, intrigue surannée… 

Mais résistons à la tentation de juger trop rapidement et, avant toute chose, contextualisons ! Il faut d’abord se rappeler que ce qui paraît aujourd’hui décalé est issu d’une période artistique où l’orientalisme était très prisé et ce, autant en littérature, en peinture qu’à l’opéra. Pensons un instant aux Pêcheurs de perles de Bizet, à l’Hérodiade de Massenet ou même à Mozart, qui déjà s’y adonnait avec son Enlèvement au sérail. De tout temps, ces oeuvres étaient offertes aux spectateurs comme du rêve et une échappatoire vers le différent, l’exotique. C’était en quelque sorte la science-fiction de l’époque ! Bénéficiant encore de moyens financiers abondants, elles exhibaient souvent scénographies, costumes et accessoires des plus démesurés. C’est ainsi que paraît Aida, créée la veille de Noël 1871, une commande du vice-roi égyptien pour souligner l’inauguration de l’Opéra Khédival du Caire. Tous les moyens sont mis en oeuvre pour souligner l’importance de l’événement, mais aussi son authenticité grâce à la col laboration de l’égyptologue français Auguste Mariette. Un travail sérieux donc, et un succès instantané pour cet opéra qui se veut le plus fidèle aux connaissances de l’époque sur l’Égypte ancienne. 

Mais revenons à Montréal où ces moyens gigantesques sont absents. Comment traduire en 2016 une oeuvre pensée pour de l’extravagance, mais sans celle-ci ? Et pourtant l’Opéra de Montréal gagne le pari de sa « céleste Aida ». La production est somme toute convaincante, grâce principalement à la vision du metteur en scène François Racine et à sa lecture classique de l’oeuvre. Enfin, nous nous réjouissons de pouvoir aller à l’essentiel : une esclave torturée par sa condition avilissante, mais aussi par l’amour qu’elle porte à son amant, son père et sa patrie. Ainsi, le prélude s’écoute rideau fermé, les personnages sont scéniquement bien typés et les numéros de danse habilement chorégraphiés par Noëlle-Émilie Desbiens. Les décors du tandem Bernard Uzan-Claude Girard et les costumes de ce même Claude Girard sont magnifiques et forcent les « oh ! » et les « ah ! » des spectateurs en leur for intérieur. 

@Yves Renaud

La distribution est intéressante, mais déséquilibrée. Malgré de belles couleurs vocales, Anna Markarova en Aida ne passe pas. De nombreux problèmes d’intonation et de crispation à l’aigu font rapidement leur apparition. Le jeu de la chanteuse russe manque d’authenticité, surtout en comparaison de sa compatriote, la contralto Olesya Petrova en Amneris, excellente dans ce rôle d’amoureuse déçue. Après un départ chancelant, le Radames du Bulgare Kamen Chanev se tire bien d’affaire malgré un jeu peu expansif. Et voilà où le bât blesse : le couple principal semble coincé dans des automatismes qui n’aident en rien à la crédibilité de leur amour. L’un des rares moments où la soprano se détend enfin est lorsqu’elle partage la scène avec son père, Amonasro. De fait, les personnages secondaires semblent mieux incarnés. Ainsi, Gregory Dahl en roi des Éthiopiens et Myriam Leblanc, la Grande prêtresse, brillent autant vocalement que scéniquement. Comment expliquer alors que notre Aida puisse être si en retrait ? Mauvaise soirée ? Mauvaise distribution ? Toujours est-il que cette spectatrice restera sur sa faim, en attendant que la véritable artiste soit dévoilée. 

L’Orchestre Métropolitain sous la direction de Paul Nadler fait généralement bonne figure dans cette musique hyperconnue. Par contre, de nombreuses notes graves des chanteurs sont perdues, dominées par un orchestre trop présent. 

Et pour laisser le mot final au commentateur sportif qui sommeille en chacun de nous, disons que sans être un tour du chapeau, cette production est certainement bien menée et qu’avec ses moyens modestes, elle nous fait passer un agréable moment au coeur de l’Égypte antique.

Aïda

Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Ghislanzoni

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Salle Wilfrid-Pelletier , 22 septembre 2016
Direction musicale
Paul Nadler, Orchestre Métropolitain
Interprète(s)
Anna Markarova (Aida) ; Kamen Chanev (Ramades) ; Olesya Petrova (Amneris) ; Gregory Dahl (Amonasro) ; Phillip Ens (Ramphis) ; Anatoli Sivko (Roi d’Égypte) ; Myriam Leblanc (Grande prêtresse) ; Keven Geddes (Messager)
Livret
Antonio Ghislanzoni
Mise en scène
François Racine
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